Il y a un an, Ymane Chabi-Gara sort diplômée des Beaux-Arts de Paris avec sa série des Hikikomoris. Un phénomène peu connu en France qui désigne de jeunes gens japonais qui ont fait le choix de s’isoler du reste du monde pendant plusieurs années. Fascinée par la culture nippone, c’est en se documentant qu’elle en découvre l’existence. En résulte des scènes impressionnantes particulièrement caractérisées par des compositions denses à la matérialité affirmée. Attentive à la façon dont chaque élément de la narration s’articule avec le sujet principal, la peintre ne relaie aucun détail au second plan. Au contraire, ce qui prévaut est l’impression générale que l’œuvre suscitera. Ainsi, chaque élément tient une importance égale. Cette artiste est à mon sens également particulièrement remarquable pour son travail de recherches sur les textures et les couleurs. « One day paintings », de récentes toiles abstraites aux petites dimensions, soulignent l’importance que l’artiste y accorde.
Alors, en attendant d’appréhender très prochainement les toiles de l’artiste en vrai, je suis ravie de vous partager les mots d’ Ymane Chabi-Gara sur son travail et une sélection de ses œuvres.
Alors, en attendant d’appréhender très prochainement les toiles de l’artiste en vrai, je suis ravie de vous partager les mots d’ Ymane Chabi-Gara sur son travail et une sélection de ses œuvres.
Peux-tu te présenter ? (Courte bio, parcours…)
Je m'appelle Ymane Chabi-Gara, je suis une jeune peintre française tout juste diplômée des Beaux-Arts de Paris en Octobre 2020.
Après une année en prépa artistique publique, j'ai étudié à l'école nationale supérieure d'arts visuels de La Cambre, à Bruxelles. À mon retour à Paris j'ai fait une pause de quatre ans à la suite de laquelle je suis entrée aux Beaux-Arts de Paris directement en troisième année.
Après une année en prépa artistique publique, j'ai étudié à l'école nationale supérieure d'arts visuels de La Cambre, à Bruxelles. À mon retour à Paris j'ai fait une pause de quatre ans à la suite de laquelle je suis entrée aux Beaux-Arts de Paris directement en troisième année.
" Le sujet n’est qu’un prétexte, ce qui m’intéresse vraiment, c’est l’expérience matérielle de la peinture. "
Ymane Chabi-Garra
Tes narrations prennent place dans des intérieurs, souvent des chambres, où sont amoncelés beaucoup d’objets du quotidien. Un personnage féminin y évolue chaque fois et est placé de façon central. Un personnage qui parfois se fond voire disparait dans cet environnement. Quel rôle joue cet univers par rapport au personnage que tu représentes?
Pour cette série de peinture Hikikomori, j'ai pris la décision de développer un travail d'autoportrait: je me prends en photo dans la position du personnage de mon image de référence. Mais étrangement, je ne cherche pas à obtenir une ressemblance réaliste. Pour moi l'acte de peindre est une expérience à part entière dans le sens où quand j'y entre, seules les couleurs et les matières comptent. Peindre la peau et les traits du visage de manière à se fondre avec la réalité ne m’intéresse pas vraiment. Je suis plus intéressée par les sensations et l’impression générale que la peinture dégagera. Ainsi, une nature morte ou une partie de peau, des yeux, un nez, tout est au même niveau pour moi, picturalement, d’où cette impression, peut-être, que les corps se fondent dans les espaces dans lesquels ils s’inscrivent.
Comment procèdes-tu généralement pour réaliser ces compositions? Choisis-tu des images déjà existantes ou sont-elles le fruit de ton imagination ?
J'ai longtemps composé les images de référence de mes peintures de façon composite. J'avais des banques d'images avec des environnements, des objets et des personnages issus de photographies trouvées sur internet que j'arrangeais sur Photoshop au gré de mes envies.
Pour la série sur laquelle je travaille en ce moment, je cherche des images, toujours sur internet, mais qui fonctionnent déjà d'elles-mêmes. Ainsi mon attention se porte sur la composition naturellement présente dans l'image mais aussi sur la façon dont les personnages s'y insèrent. Souvent mon regard est attiré par des détails assez précis pour lesquels l'envie de peindre se manifeste. Mes choix sont toujours guidés par cette envie de peindre qui se déclenche grâce à une forme d'objet, un motif, un ensemble de couleurs... et comment ces détails interagissent avec la position du personnage dans l’image.
Pour la série sur laquelle je travaille en ce moment, je cherche des images, toujours sur internet, mais qui fonctionnent déjà d'elles-mêmes. Ainsi mon attention se porte sur la composition naturellement présente dans l'image mais aussi sur la façon dont les personnages s'y insèrent. Souvent mon regard est attiré par des détails assez précis pour lesquels l'envie de peindre se manifeste. Mes choix sont toujours guidés par cette envie de peindre qui se déclenche grâce à une forme d'objet, un motif, un ensemble de couleurs... et comment ces détails interagissent avec la position du personnage dans l’image.
Tu réalises les visages de tes portraits comme des masques : les yeux sont blancs, sans pupilles, et les lèvres sont également peintes en blanc. Ils ne laissent finalement transparaître aucune expression, ils sont comme figés. Seule leur attitude corporelle laisse présager un peu leur état d’esprit. Peux-tu nous dire quelques mots sur le traitement de tes personnages et sur ton choix d'apposer des touches de blancs par endroit dans leur représentation?
Concernant les yeux que je laisse blancs, en fait j’essaye souvent de les peindre mais le résultat ancre toujours trop le personnage dans le réel. Encore une fois, je ne veux pas que ce type de détail brouille la perception des personnes qui regardent mes peintures. En couvrant l’iris de blanc, je sors le personnage de l’idée d’individualité et lui enlève ce qui pourrait être perçu comme une personnalité. Les choses doivent rester flottantes, se fondre entre elles par le biais des couleurs, des textures.
L’usage du blanc en général me permet d’organiser l’image. J’utilise beaucoup de couleurs différentes, et assez vives, si bien qu’il est facile de s’y perdre. Je garde toujours en tête l’idée que le regard du spectateur doive suivre un chemin. En quelque sorte, je le force de façon indirecte à suivre le chemin que je prépare pour lui lors de la réalisation de la peinture. Le blanc, noir et autres teintes très foncées cadrent les autres couleurs, « lavent » le regard des autres couleurs (ou je dirais, offrent une pause visuelle) mais agissent aussi comme points de repères. La composition est très importante, tout cela se fait de façon plus ou moins inconsciente en suivant mes propres sensations visuelles lorsque je travaille. Ce n’est que lorsque la peinture est terminée que je peux prendre du recul sur la façon dont j’ai mis tous ces éléments en place.
Ces narrations prennent pour référence le mode de vie de jeunes gens japonais : les hikikomoris. Pourquoi ce thème ?
Je m’intéresse à la société contemporaine japonaise depuis très longtemps. Au fil du temps j’ai donc pris l’habitude de lire des magazines d’actualité centrés sur le Japon et c’est comme cela que je suis tombée sur un article traitant du sujet des Hikikomori. Je me suis reconnue dans ces jeunes japonais faisant le choix de s’isoler du reste du monde pendant des années, ayant moi-même eu un épisode de ce genre (en beaucoup moins extrême) vers mes 24-26 ans, et en même temps le côté extrême de cet isolement me fascinait. Le fait que les parents de ces personnes ainsi que la société en général laissent cet isolement total se produire sans interruption, sans intervention pendant des années me paraissait incroyable en tant qu’occidentale. J’ai donc fait beaucoup de recherches sur le sujet pendant des années en prenant des notes mentales et physiques des informations que je trouvais, au point que je me suis mis en tête d’écrire mon mémoire de 5ème année aux Beaux-Arts sur ce sujet. Puis je suis allée étudier à Tokyo six mois dans le cadre d’un voyage d’échange dans l’idée de rencontrer des associations s’occupant d’aider les Hikikomori mais la confrontation avec la société et la culture artistique japonaise « en vrai » m’a fait complètement changer de sujet.
Je suis revenue aux Hikikomori lors de la préparation de mon diplôme de fin d’études, ayant amassé tellement d’informations et d’images il m’a semblé naturel de prolonger mes recherches de façon picturale.
Dans tes peintures, j’ai observé une certaine matérialité qui leur confère une impression parfois de bas-relief. Quels matériaux utilises-tu et qu’est-ce qui te plait dans un rendu assez dense de la matière?
Je peins sur des panneaux de contreplaqué collés sur des châssis en bois. Ce support est suffisamment solide pour supporter tous les traitements que ma peinture demande. En effet je peins à la laque acrylique, une peinture à la fois épaisse et liquide normalement utilisée pour peindre des meubles et en décoration d’intérieur. En jouant avec les niveaux de dilution et les temps de séchage je peux obtenir des effets et des textures très variés.
Aussi j’avance à tâtons, je suis incapable de planifier à l’avance ce à quoi ma peinture ressemblera à la fin. Je tente des choses qui ne marchent pas toujours, recouvre et recommence indéfiniment. Certains endroits sur mes peintures ont connu 6, 8 essais différents avant de trouver le bon ton, la bonne texture... Ainsi ces couches inférieures ressortent toujours d’une façon ou d’une autre dans le résultat final. J’appelle ces formes en relief « fantômes ». Ce sont des restes, des accidents avec lesquels je joue et qui font partie intégrante de mon travail.
J’ai constaté que tu avais réalisé récemment des peintures de petites dimensions et abstraites dont l’une d’entre elles se retrouve dans une de tes grandes compositions. Peux-tu nous parler de ce travail ?
Ce travail sur petit format est venu d’un besoin de faire des choses plus rapides. Mes peintures de grand format me prennent environ deux à trois mois. C’est un travail long et épuisant mentalement, fait de hauts et de bas… Avec les petits formats je peux me concentrer uniquement sur la couleur et les textures, chercher de nouvelles façons de faire sans avoir à penser à un grand ensemble. Je ne sais pas encore quel statut leur donner, pour moi ce sont plus des recherches qui, je l’espère nourriront mes grands formats, et vice versa.
J’essaie de les réaliser en un ou deux jours d’où le nom « one day paintings ». A force de rentrer trop dans le détail j’ai constamment peur d’être trop à l’aise dans ce que je fais ou de perdre en spontanéité. Ces petits formats remettent le focus sur la peinture et me débarrassent de la narration. Le sujet n’est qu’un prétexte, ce qui m’intéresse vraiment, c’est l’expérience matérielle de la peinture, et j’espère que ces petits formats m’aideront à rétablir cette balance.
Quelles sont tes principales sources d’inspirations?
C’est toujours tellement difficile de parler de ses influences ! Je regarde et apprécie beaucoup de peinture, bien sûr, mais j’aurais du mal à dire que tel ou tel peintre m’influence… David Hockney bien sûr, Kerry James Marshall, Dana Schutz, entre autres…
Mais ces temps-ci je suis bien plus intéressée par les installations et la performance. En général les travaux qui englobent le spectateur et qui offrent une expérience sensorielle multiple me parlent beaucoup.
Je pense très souvent au travail de Katharina Grosse, dont j’ai eu la chance de faire l’expérience en vrai il y a quelques années et qui m’a durablement marquée. Son utilisation de la couleur, et de la matière même de la couleur en rapport avec l’espace me fascine.
J’ai aussi pu voir la pièce Crowd de Gisèle Vienne il y a un an et demi et en suis ressortie changée. J’avais déjà eu un avant-goût en terme de danse contemporaine via le Butô japonais, auquel j’ai consacré mon mémoire de fin d’étude, et le fait d’avoir fait l’expérience de ce spectacle-performance sur scène a achevé de me donner l’envie de voir des corps occuper l’espace, se saisir du son, créer un monde à part entière en dehors des comportements attendus et respectés dans la vie quotidienne.
Ces espaces cathartiques dans lesquels le corps est en première ligne m’intriguent, m’inspirent à m’attirent.
Tu présentais jusqu'à août dernier une pièce dans l’exposition collective « About Now #1 » à la galerie Cécile Fakhoury, à Paris. As-tu des projets à venir à nous partager?
La rentrée 2021 sera plutôt chargée pour moi : ma première exposition personnelle aura lieu dans le cadre du prix Sisley Beaux-Arts de Paris pour la jeune création du 17 septembre au 7 octobre. Puis j’exposerai en tant qu’artiste sélectionnée pour la Bourse Révélations Emerige du 15 octobre au 14 novembre. Enfin je montrerai trois nouvelles peintures lors de la foire AKAA sur le stand de la galerie ByLaraSedbon du 12 au 15 novembre.
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