« C’est en me rendant compte que le dessin et la peinture me permettaient de raconter des histoires, sans le poids des mots, que j’ai décidé d’en faire mon activité. »
C’est par hasard que Timju Jeannet se destine à la peinture. De personnages accompagnés de phrases, aujourd’hui le jeune autodidacte se plaît à dépeindre des moments solitaires. Des ‘’moments entre les moments’’ dans lesquels le spectateur peut s’y projeter, reconnaitre ce laps de temps qui ponctue notre quotidien.
Colorés, ses dessins et peintures naissent avant tout de la spontanéité du jeune artiste. Des arrêts sur image dont la narration découle de la musique qui l'accompagne tout au long de son travail. C’est l’oeuvre de Timju Jeannet qui rythmera cette nouvelle semaine, aux notes colorées et mélodieuses.

L'artiste Timju Jeannet

Pourriez-vous vous présenter ? 

Né en 1987 d’origine suisse, je vis à Paris depuis 2015.
J’ai commencé à dessiner, puis à peindre tardivement, vers 25 ans, sans que jamais rien auparavant ne laisse présager le choix de cette voie-là. C’est arrivé par hasard, lors de mes études en sciences politiques.
Au début, je dessinais des personnages accompagnés de phrases. Y prenant goût, je me suis mis à dessiner des choses de plus en plus compliquées, à essayer de nouvelles techniques. Autodidacte, j’ai tout de même pris quelques cours d’adultes où on m’a encouragé dans ce que je faisais.
C’est en me rendant compte que le dessin et la peinture me permettaient de raconter des histoires, sans le poids des mots, que j’ai décidé d’en faire mon activité.

Vous représentez des scènes du quotidien dans des lieux domestiques ou publics, et très souvent ce sont des êtres seuls qui y évoluent. Des lieux qui prennent très souvent le pas sur la représentation du personnage au niveau de l’échelle. Est-ce ce pour vous un moyen d’accentuer la solitude de l’être représenté ?

Plus que la solitude dont la connotation négative me dérange, ce que j’aime représenter ce sont des moments solitaires. Plus exactement des “moments entre les moments”.
Des moments où certes il ne se passe pas grand chose en apparence, mais où tout peut advenir, ou au contraire tout se reposer - ce que je laisse au choix du spectateur. Ainsi, le personnage d’un tableau pourrait être remplacé par un autre. Et peut-être aussi par le spectateur lui-même.
Le décor a donc effectivement une grande importance. Car si on repense aux moments marquants, on se souvient de l’ambiance, du lieu, des couleurs, de la lumière.
Mais ces choses-là, cette façon de concevoir mes tableaux me sont venues spontanément.
Jeu avec le Chat, aquarelle sur papier, 35,5x50 cm Paris, 2019
Jeu avec le Chat, aquarelle sur papier, 35,5x50 cm Paris, 2019

D’ailleurs, très souvent vos personnages sont de dos et regardent par la fenêtre. Est-ce pour vous un moyen pictural, comme la technique du repoussoir, à inciter le regardeur à observer avec attention le décor ?

En vérité, je n’y avais jamais fait attention et c’est vous qui m’en faites prendre conscience. Vous avez raison, ils sont souvent de dos, ou regardent par la fenêtre ce qui pousse le spectateur sans doute à observer ce qui les entoure.
Mais je dessine toujours comme au début, un peu pour moi. Il n’y a donc pas de stratégie vis-à-vis d’éventuel spectateur. Comme dit plus haut, mes compositions me viennent assez spontanément et ne se concentrent pas sur le personnage mais davantage sur ce qu’il vit. On peut envisager mes peintures comme des arrêts sur images. Une scène d’un film.

Simon, acrylique sur papier, 23x30cm, Lausanne. 2015
Simon, acrylique sur papier, 23x30cm, Lausanne. 2015

Comment travaillez-vous vos compositions? Est-ce que ce sont des scènes dont vous êtes témoin ou les recomposez-vous selon votre imagination ?

Sauf à de très rares occasions, mon travail n’est pas le témoignage de ce que je vis.
Quand je dessine, j’aime imaginer d’autres choses. Des choses lointaines, des choses que j’aimerais vivre, etc...
Je collectionne des images piquées ici ou là. Souvent des scènes de films ou de séries. Parfois de photos. Parfois dans la rue.
Mais aussi, très souvent, par la musique qui m’accompagne toujours bien qu’incapable d’en jouer, et m’inspire énormément. J’ai toujours pour un dessin ou une série de dessins une bande son que j’écoute en boucle pendant que je travaille dessus.
Peut-être plus que de raconter des histoires, ce sont des chansons que j’ai envie d’écrire en dessinant.
Pour les images comme pour la musique, c’est toujours un élément précis qui va m’intéresser. Une phrase d’une chanson, un détail d’une image.
Ces inspirations vont alors faire naître un prétexte: l’envie d’utiliser telle gamme de couleur, ou une couleur précise, de représenter tel objet, tel élément de décor, de travailler avec telle technique, sur tel format.
Ce prétexte peut rester en veille pendant des semaines ou des mois, jusqu’à ce qu’il rencontre l’histoire qui permettra de le mettre en scène.
Finalement, un dessin c’est la réunion opportune de ces différents éléments d’inspiration. Ceux-ci ne constituent pas le coeur du dessin et ils s’y trouvent dilués homéopathiquement.
Par exemple, sur ce dessin-là: je voulais juste dessiner au départ, une salopette rouge sur un pull blanc. Puis, une chanson est arrivée. La scène du disquaire est alors arrivée.
Record Shop, gouache sur papier 18x26 cm Paris, 2020 partie de l’exposition «Stanza», L’atelier à Lausanne, 2020
Record Shop, gouache sur papier 18x26 cm Paris, 2020 partie de l’exposition «Stanza», L’atelier à Lausanne, 2020
Vous semblez intéressé par les détails de chaque lieux représentés. Vos dessins sont fins et minutieux. Pourriez-vous nous dire si le choix du format de vos créations, souvent de petites dimensions, est un moyen pour vous d’inciter le spectateur à s’y attarder davantage et de s’en saisir comme il le souhaite ?

Les petits formats ont été un élan naturel dès mes débuts en tant que dessinateur amateur. Par la suite, même en détaillant mes dessins ou mes tableaux, j’ai gardé cette habitude.
J’aime que mes créations puissent être saisies. Par l’oeil, mais aussi physiquement à 2 mains. Cela leur confère effectivement une intimité, car l’idée est de transcrire un moment particulier.
En augmentant les dimensions, pour arriver au même effet, il faut décomplexifier la composition. S’interdire trop de détails.
Le choix du support, presque exclusivement du papier, est lui un choix plus conscient.

Votre travail est très photographique, est-ce que l’appareil photo est un support que vous utilisez ou que vous souhaiteriez utiliser à l’avenir dans votre pratique ?

Je ne sais pas faire de photos. Je ne savais pas regarder dans l’objectif des appareils analogiques, et je parviens toujours pas à voir réellement ce que montre l’écran des numériques ou d’un téléphone. Si j’utilise l’appareil photo, ce sera uniquement pour prendre note d’une inspiration, comme un look dans la rue.
Et puis, je suis impatient avec les appareils. Alors que le dessin m’oblige à prendre le temps. Pour une part, je dessine comme je voudrais savoir prendre des photos.
De plus en plus, j’apprends à faire de meilleures photos, pour nourrir notamment mon travail. L’idée est de raconter moins d’histoires, s’écarter de l’illustration.
Metrovision, acrylique sur papier, 12,5x18 cm Paris, 2016
Metrovision, acrylique sur papier, 12,5x18 cm Paris, 2016
Vos scènes dans des maisons de campagne sont baignées de soleil, alors que celles en ville sont souvent associées à des atmosphères nocturnes ou plus sombres. Y-a-t-il une signification particulière ou ces scènes à la campagne sont celles de vos vacances d’été tout simplement?

La différence d’atmosphère entre les scènes de ville et les scènes de campagnes provient de mes goûts. Essentiellement urbain, j’aime la poésie de la ville, qu’elle ne dorme jamais, veilleuse de nuit.
Ayant grandi à la campagne, je m’en méfie. Alors, le type de campagnes qui m’inspirent sont celles du Sud. N’importe lequel. Il faut qu’il y ait une belle lumière, un climat agréable.
Autrement, il faut que ce soit un grand espace.
Au Bord de la Piscine, gouache sur papier, 18x26 cm Paris, 2020 partie de l’exposition «Stanza», L’atelier à Lausanne, 2020
Au Bord de la Piscine, gouache sur papier, 18x26 cm Paris, 2020 partie de l’exposition «Stanza», L’atelier à Lausanne, 2020
Quelles sont vos influences artistiques?

J’ai été à mes débuts marqué par une illustratrice Maira Kalman (https://mairakalman.com). C’est son travail qui m’a donné envie de faire du dessin.
De manière générale, ce qui m’intéresse chez une artiste ou un artiste, ce sera toujours son travail des couleurs, son rapport à son support et ses techniques. Comment elle ou il travaille presque plus que ses sujets.
Je suis assez envieux de ce que font les autres, de leurs trouvailles. Sans être jaloux, j’ai toujours envie de les essayer à ma manière. De voir ce que je peux en faire, comment ces trouvailles peuvent s’insérer dans mon travail.

Avez-vous des projets à venir ?

Actuellement, je travaille à l’illustration d’un livre pour enfant. L’année 2020 a été (étrangement) chargée avec deux expositions en Suisse, l’an prochain, j’aimerais développer de nouveaux sujets, essayer de nouveaux formats, etc. Emprunter de nouvelles voies.
Morning Walker New-York, gouache sur papier, 15x21 cm Paris, 2016
Morning Walker New-York, gouache sur papier, 15x21 cm Paris, 2016
USPS Mailbox, aquarelle sur papier, 12x18 cm Paris, 2020
USPS Mailbox, aquarelle sur papier, 12x18 cm Paris, 2020
Nature Morte, l’Etudiant, gouache sur papier 18x24 cm, Paris, 2018, partie de l’exposition «Playtime», galerie Forma à Lausanne, 2018
Nature Morte, l’Etudiant, gouache sur papier 18x24 cm, Paris, 2018, partie de l’exposition «Playtime», galerie Forma à Lausanne, 2018

Vous pouvez suivre le travail de Timju Jeannet par ici:
https://www.instagram.com/timju.jeannet/
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