Thibaut Bouedjoro-Camus, peintre français originaire de la Côte d’Ivoire, réalise des œuvres de grande dimension où des générations se côtoient et les références culturelles dialoguent librement sur l’espace pictural. Les références à l’histoire de son pays d’origine se mêle à la représentation de son entourage proche et à des scènes contemporaines. Telles des visions, ses peintures apposent des scènes qui sont à priori indépendantes des unes des autres et qui évoluent pourtant côte à côte. En effet, l’artiste affectionne particulièrement ces rencontres et joue avec elles pour confronter ces différences tant generationnelles que temporelles ou spatiales. Ces diverses scènes sont alors autant d’ouvertures possibles et évoluent ensemble dans un espace pleinement inédit, le sien. Tel un collage, l’artiste y appose ses multiples références qui une fois détournées prennent une nouvelle fonction dans ses œuvres et en propose un regard nouveau. En résulte des œuvres qui parviennent toujours à une harmonie.
Thibaut Bouedjoro-Camus est diplômé des Beaux-Art de Paris depuis 2020. Son travail a été présenté à Paris dans des expositions collectives, notamment à la Fab d’Agnès b. C’est à Londres que le peintre a présenté sa première exposition personnelle avec Samuele Visentin . Et actuellement c’est la galerie Cecile Fakhoury qui lui consacre une exposition dans son espace à Abidjan.
Cette semaine, à travers une sélection du travail du peintre, je vous partagerai ses mots. Cet entretien a été réalisé à son atelier à Ivry en mai dernier.
Thibaut Bouedjoro-Camus est diplômé des Beaux-Art de Paris depuis 2020. Son travail a été présenté à Paris dans des expositions collectives, notamment à la Fab d’Agnès b. C’est à Londres que le peintre a présenté sa première exposition personnelle avec Samuele Visentin . Et actuellement c’est la galerie Cecile Fakhoury qui lui consacre une exposition dans son espace à Abidjan.
Cette semaine, à travers une sélection du travail du peintre, je vous partagerai ses mots. Cet entretien a été réalisé à son atelier à Ivry en mai dernier.
Peux tu te présenter?
La vocation artistique est venue assez tôt mais plus par le biais de la bande-dessinée, les dessins animés. C’était cela qui m’intéressait premièrement. C’est ca, très tôt, dès le lycée, qui m’a orienté vers un lycée d’arts appliqués où j'ai rencontré Solène (n.d.l.r Solène Rigou) justement. On se connait depuis la seconde, cela fait dix ans, presque onze qu’on se suit. J’ai fait ensuite une prépa à la Mairie de Paris. Et à cette prépa on me dit « C’est plus pictural que dessin animé. Tente les Beaux-Arts quand même. » J’obtiens les Beaux-Arts de Paris et m’installe dans l’atelier de peinture. Et finalement avec l’émulation des autres élèves (car aux Beaux-Arts de Paris, toutes les années sont mélangées), je finis par ne faire que de la peinture. Et j’adore ça. Très naturellement c’est devenu ma pratique. Et depuis, je continue.
" Assez tôt j’ai eu l’envie de travailler sur la dualité. (...) Dès scènes qui montrent des différences qui se rencontrent et cela donne quelque chose. Et ce quelque chose n’est ni positif ni négatif, il est curieux, parfois étrange et cela ouvre vers différentes possibilités. "
Thibaut Bouedjoro-Camus
Quels souvenirs gardes-tu de l’atelier partagé aux Beaux Arts de Paris ? Après tes études, comment envisageais-tu ta pratique ?
Du fait de ma personnalité, je ne suis pas vraiment quelqu’un qui a besoin d’un espace isolé. J’étais un peu celui à l’atelier comme le dirait Nico (n.d.l.r Nicolas Gaume) qui peint et qui fait un débat de trois heures en même temps. J’ai toujours aimé être en compagnie de d’autres personnes. Je n’ai pas besoin de faire les choses trop discrètement. Cela ne me gène pas qu’il y ait des personnes à coté. Et au contraire, je pense que j’en ai pas mal besoin.
Au Beaux-Arts, ça s’est très bien passé. C’était l’émulation avec les autres étudiants qui m’a fait avancer. Les questions entre étudiants : quand on arrive en première année les étudiants plus âgés nous conseillent, on donne des conseils aux plus jeunes et même les plus jeunes nous donnent des idées. Ça toune comme ça.
C’était une super expérience pour moi les Beaux-Arts. C’était de très belles années.
Tu réalises des oeuvres de grandes dimensions où les générations se côtoient et les références culturelles dialoguent. Tu apposes également dans une même composition différentes scènes, telles des visions. Ou alors tu vas multiplier les ouvertures dans tes tableaux, par le biais de représentation de fenêtres, portes ou cadres qui ouvrent sur d’autres scènes et prolonger la scène principale vers d’autres espaces.
Qu’est ce que tu souhaites transmettre par cette juxtaposition de scènes qui à priori sont indépendantes des unes des autres mais qui finalement fonctionnent ?
Assez tôt j’ai eu l’envie de travailler sur la dualité. J’avais fait cela avec mes frères, mes parents. Dès scènes qui montrent des différences qui se rencontrent et cela donne quelque chose. Et ce quelque chose n’est ni positif ni négatif, il est curieux, parfois étrange et cela ouvre vers différentes possibilités. Cette pensée-là, je me suis rendu compte qu’un philosophe l’avait déjà exprimée: Édouard Glissant. A partir de mon diplôme de troisième année, j’ai lu plusieurs de ses livres qui sont, eux aussi, au croisement (c’est donc finalement toujours une histoire de rencontres) de la poésie et de la philosophie. Et lui appelle cela poécept - poésie et concept - en même temps. Il est antillais, alors pour lui, forcément, la rencontre de cultures, c’est la culture antillaise. Et étant moi même métisse franco-ivoirien, cela me parle beaucoup. Cela a toujours été présent dans ma tête sans que j’aille tout le temps en Côte d’Ivoire. Après, au final, ce n’est pas tant l’idée d’un mix culturel positif qui est cette question-là de la rencontre. C’est l’unité première du monde, pour Edouard Glissant. Et au final, le fait que je la transpose dans pleins d’autres sujets, c’est aussi le même propos. Il y a des rencontres culturelles, de métissages mais il y a aussi des rencontres de personnes différentes tout simplement, d’époque différentes, d’âges différents. Cela crée toujours quelque chose. Et en peinture cela va se transformer en espace différents. Et toutes ces rencontres vont toujours donner quelque chose. Et ces ouvertures, c’est toujours pour me rappeler que nous sommes au croisement de quelque chose et qu’il y a une infinité de possibilités.
J’ai envie que dans les peintures on puisse toujours les sentir et qu’elles débordent du cadre des peintures. C'est quelque chose de classique en peinture: les fenêtres, les portes servent toujours à rappeler que ce monde-là n’est pas fermé et qu’il y a toujours un au delà du bord du cadre de la peinture: un au delà dans le réel.
Peux-tu nous décrire ton processus créatif habituel ?
Pour les grands formats, cela va être des idées plus magistrales où je vais avoir une grande idée qui me percute. Cela peut être une phrase, un bout de film, une autre peinture qui me frappe particulièrement. Et après, il s’agit de trouver les éléments que je vais faire en montage qui vont reconstituer cette idée là. Cela aboutit toujours à des montages d’éléments différents. Et ensuite quand je peins, il s’agit de lisser un peu ces espaces différents. On sent toujours qu’il y a un peu un tremblement, des choses différentes et d’autres qui ne devraient pas être là. Mais il s’agit toujours d’harmoniser le tout comme un seul et même espace, qu’il y ait une tension entre eux, entre un seul espace et plusieurs espaces en même temps. C’est à cela que le montage me sert.
Comment matérialises-tu ce montage?
Sur photoshop. J’ai ma banque d’images. Ce sont quasi toujours des images personnelles. Je peux faire poser des personnes quand j’ai une idée vraiment très précise. Donc là ça va être un dessin préparatoire et donc je vais pousser la photo pour qu’elle ressemble au dessin et pas l’inverse. L’idée est que j’arrive à quelque chose d’harmonieux mais en tension quand même.
Actuellement tu présentes une exposition dans l'espace de la Galerie Cécile Fakhoury à Abidjan, peux-tu nous en parler?
C'est mon second solo show avec la galerie Cécile Fakhoury, à Abidjan, la capitale de mon pays d’origine. C’est un beau symbole. J’ai donc plusieurs projets (de peinture) à la fois sur l’histoire de la Côte d’Ivoire, mon histoire personnelle.. qui sont présentées là-bas. C’est assez important et c’est beaucoup de choses imposantes. C’est un grand projet.
Quelles sont tes influences artistiques ?
Caravage est ma première rencontre personnelle avec la peinture, j’avais 14 ans. Récemment j’ai un peu regardé tous les peintres post Bacon: Adrian Ghenie, Ambera Wellmann.. ces artistes qui sont dans quelque chose de nerveux moins précis. Bacon parlait « de faits picturaux » qui frappent le système nerveux, de quelque chose de très frontal.
Il y a aussi les post Gauguin avec Michael Armitage ou Peter Doig. Où là c’est un peu plus lié à ce que je recherchais avec Edouard Glissant. Lui parlait de cela : de Gauguin via Victor Segalen qui parlait lui même de l’exotisme: qui est de faire ressentir le sentiment de la différence. Et Chez Gauguin, il y a ce sentiment d’une différence qui est en train de disparaitre. Quand il faisait les tahitiennes, c’était des cultures qui étaient en train de s’effacer. Et même s’il y a un fond un peu colonial et raciste, c’était quand même une démarche d’aller chercher du très différent, qui était selon lui du sauvage mais c’était quand même du très différent. C’était l’idée d’attraper un peu cette fragilité qui peut s’effacer. Et chez les peintres récents comme Armitage ou Doig il y a encore de cela. Ces derniers, avec Caravage, sont les influences qui me font le plus avancer. Il y en a évidemment pleins d’autres mais ceux-la sont les plus récentes.
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