« Œufs, pommes de terre, citrons. Ils sont là devant moi dans leur silence. »
Tatiana Pozzo di Borgo, Sans pourquoi, 2019

Tatiana Pozzo di Borgo, peintre française, puise ses sujets directement à l’atelier. Lieu de travail par excellence, c’est aussi son lieu de vie, où elle réside en compagnie de ses motifs de prédilection. Par cette temporalité qui n’est régie que par son rythme personnel, les œuvres qui en résultent témoignent du lien étroit que la peintre entretient avec ses sujets. Elles signalent également la quête formelle perpétuelle de l’artiste qui caractérise pleinement son travail. Elle en compose diverses et parfois infimes variations. 
« Je travaille plusieurs toiles en même temps souvent, dans chacune je cherche un son particulier, chacune sa musique. Une petite variation de cadrage, de lumière, de traitement de la matière, de composition, d’angle de vue, change tout. C’est ce changement, ce qui se passe dans ce rien, ce déplacement, qui me touche et auquel j’essaye de me rendre disponible. » m’explique la peintre.
 La comparaison avec la musique n’est pas hasardeuse. Elle tient une place centrale dans sa vie et est pleinement inhérente à sa pratique picturale. L’artiste joue du piano comme elle peint et, ce quotidiennement, au sein même de son atelier. Il n’est donc pas surprenant de voir des analogies dans sa façon d’appréhender sa peinture où chaque éléments et déplacements, les composant jouent un rôle essentiel dans sa lecture comme celui du son d’une note joué par un instrument. 

Les figures, dans l’œuvre de la peintre se font quasi absentes et témoignent d’un certain désintérêt pour celles-ci pour leur individualité. Tantôt tronquées ou réduites à une silhouette, tel un mannequin, elles signalent toujours l’attention que porte l’artiste sur la primauté de la forme. Ces œuvres-ci s’intègrent alors parfaitement à celles de ses natures mortes pour leurs cohérences formelles et leurs exécutions dans de mêmes tonalités.
Récemment, l’artiste a intégré à sa palette des couleurs: pures et vives. Et en exclusivité Tatiana Pozzo di Borgo nous partage ses dernières créations qui en témoignent.

Peux-tu te présenter ? 
J’ai 30 ans. Je suis née à Vannes, ai grandi à Paris et fais mes études aux Beaux-Arts de Paris d’où je suis sortie en 2016. Depuis je vis et travaille entre la Corrèze et Paris. La peinture s’est imposée à moi, j’ai la sensation d’avoir toujours voulu peindre. Elle s’est cependant toujours accompagnée de musique, entre le chant et le piano, en parallèle et dans l’atelier.


" Avec le temps une intimité avec le sujet se crée, et cela me donne le courage d’oser peindre simplement. "

Tatiana Pozzo di Borgo

 Œufs 2, 2019, huile sur toile, 27x22cm
Œufs 2, 2019, huile sur toile, 27x22cm

Tu travailles en série et chaque tableaux en montre une variation : de la composition, de points de vus.. Tu réalises parfois même des cadrages plus resserrés sur un détail du motif de la série. Je pense notamment à ta série «Tablier» où on peut voir sur l’un des tableaux un cadrage resserré sur le tablier de la femme que tu représentes. Peux-tu nous parler de ta démarche artistique? 
Voici un texte que j’ai écrits à l’occasion d’une exposition en 2019. Cela donne un petit éclairage.

Sans pourquoi

Veiller son sujet et attendre.
Attendre que le voile se lève
pour voir son éclat.
La pauvreté du sujet repose
dans la profondeur
et guide le regard dans son rien,
son sans pourquoi.
Ne rien rajouter,
devenir ce que l’on voit.
Œufs, pommes de terre, citrons.
Ils sont là devant moi dans leur
silence, qui me permet d’entendre
le jeu lumineux,
l’équilibre des valeurs ;
peut-être un écho de l’un.


Tu représentes souvent des natures mortes: œufs, pommes de terre, citrons.. dans des compostions très dépouillées, sans artifices. A l’image de celles de Paul Cézanne, ton travail de nature morte semble s’intéresser aux incidences de la lumière sur les formes et leur l’agencement. Cézanne disait : « Tout se rapporte dans la nature à la base du rond, du cône et du cylindre, c'est pourquoi l'artiste doit avant tout étudier ces figures simples et ce n'est qu'ensuite qu'il peut faire ce qu'il veut. » Qu’est-ce qui t’intéresse dans le genre de la nature morte ? Et que penses-tu de ce que déclarait Cézanne ? 

J’aime être seule dans l’atelier et vivre avec les sujets que je peins. Les voir à toutes les heures du jour, pouvoir les peindre quand je veux, et surtout rester en silence avec, lire devant, faire de la musique à côté. Ces sujets-là sont des rencontres. Dans les périodes où je ne sais pas quoi peindre je cherche quelque chose que je sais déjà en moi. Quelque chose qui m’aidera à le révéler. Comme avec un miroir chercher le bon angle pour attraper le rayon et éclairer au cœur du trou, au fond du gouffre. Quand la rencontre se fait je sais que c’est ça. Par exemple les œufs que je peins en ce moment, quand je les ai vus, j’ai su que ce sujet m’emmènerait loin, suffisamment riche et profond pour me soutenir dans mon travail de peinture. Sa forme à la fois simple et complexe, les œufs d’une courbe rayonnante, la boîte rigide, droite et courbe en même temps avec ses plans dans la lumière et l’ombre, et le tout d’une présence à la fois simple et grandiose. Avec le temps une intimité avec le sujet se crée, et cela me donne le courage d’oser peindre simplement. Je me sens proche de la peinture de Cézanne et de ce qu’il dit.
 Citrons 1, 2019, huile sur toile, 27x35 cm
Citrons 1, 2019, huile sur toile, 27x35 cm
D’ailleurs, tu travailles souvent sur des variations de lumières. Mais j’ai remarqué que l’ensemble de tes séries étaient représentées dans des teintes sourdes et sur des fonds unis, dans les teintes de gris. Qu’est-ce qui a déterminé ce choix de palette ? Qu’indique-il sur ton travail?

La palette réduite me permettait de rentrer en profondeur dans le travail de lumière et de la possibilité de chaque couleur selon les rapports établis. Avec peu je pouvais découvrir beaucoup, imaginer des possibles, cela a nourrit mon sens de la sonorité. Cela fait longtemps que je pense à la couleur. Je n’osais pas y aller complètement. Mais récemment ma grand-mère m’a donné une centaine de petits tubes de couleur qu’elle avait accumulé lors de ses cours de peintures, des couleurs de toutes sortes. En janvier, après une période plus austère j’ai senti un désir vital très fort de couleur, j’ai mis tous ces tubes derrière moi et pour la première fois si je veux un rouge vif, avec du bleu, du violet, de l’orange, je les prends directement et je n’atténue pas vers des tons gris ou terreux, sauf si c’est ce que je veux. Les tableaux que j’ai aujourd’hui à l’atelier et que je présenterai bientôt dans différentes expositions, représentent une étape très importante de ma vie. Quelque chose s’est ouvert.

Ton travail de séries d’un même motif et de variation me rappellent celui de Claude Monet avec ses meules, ses cathédrales .. Mais à la différence de ce dernier qui cherchait à  montrer les  différents effets de la lumière et de l’atmosphère au fil des jours, des saisons, et des conditions météorologiques, tes œuvres, quant à elles, sont toujours des scènes intérieures. Qu’est-ce qui t’intéresse dans les espaces intérieurs pour ton travail pictural ?

Jusqu’à maintenant c’est ce qui s’est imposé à moi. J’aime la solitude et le silence de l’atelier et comme dis plus haut, la possibilité de vivre avec jour et nuit et sur une période aussi longue que nécessaire. La transformation se fait aussi en moi. Pour le moment, j’aime avoir comme sujet quelque chose que je peux mettre en face de moi dans l’atelier et à mon échelle. Je peux en avoir une vision d’ensemble mais je suis ouverte à tout, je ne sais pas encore où ce chemin m’amène, je découvre au fur et à mesure selon ce qui me pousse.
Tabliers, 2016, huiles sur toiles
Tabliers, 2016, huiles sur toiles
Plus haut je parlais des variations de cadrages que tu effectues au sein de tes séries. Est-ce que l’usage de la photographie intervient dans ton travail préparatoire ? 

Pas du tout, je n’en fais jamais même si cet art m’intéresse. Je travaille plusieurs toiles en même temps souvent, dans chacune je cherche un son particulier, chacun sa musique. Une petite variation de cadrage, de lumière, de traitement de la matière, de composition, d’angle de vue, change tout. C’est ce changement, ce qui se passe dans ce rien, de déplacement, qui me touche et auquel j’essaye de me rendre disponible.

Peux tu nous décrire ton processus créatif habituel?

Cela varie souvent mais dans les moments où je travaille le mieux c’est que je suis un rythme très régulier avec des horaires fixes. Le matin je vais à l’atelier et peins, ensuite avant le déjeuner je fais du piano, ensuite j’écoute les infos en préparant à manger, ensuite je retourne à l’atelier et m’arrête en fin de journée. Le piano est dans l’atelier, et j’aime y aller tout au long de la journée, pour travailler un petit passage ou autre, cela compte beaucoup pour moi entre deux moments de concentration dans la peinture. J’ai un carnet journalier où je note des croquis, des rapports de couleur et des mots, des images, des bouts de poèmes ou d’entretiens que j’entends comme par exemple récemment ceux de Glenn Gould. Au mur et partout dans l’atelier j’ai des papiers avec des choses marquées dessus, des noms, des poèmes et cela crée un tout qui m’aide à me concentrer. Dans les moments où je travaille le mieux c’est que je suis ce rythme régulier, je peux me reposer dessus et faire.

 Trois tabliers, 2016, huile sur toile, 18x14cm
Trois tabliers, 2016, huile sur toile, 18x14cm
Trois tabliers, 2016, huile sur toile, 18x14cm
Trois tabliers, 2016, huile sur toile, 18x14cm
Thérèse et tablier 1, 2016, huile sur toile, 30x30cm
Thérèse et tablier 1, 2016, huile sur toile, 30x30cm
Thérèse 2, 2016, huile sur toile, 30x30cm
Thérèse 2, 2016, huile sur toile, 30x30cm
Quelles sont tes principales influences artistiques ?

Je regarde beaucoup de choses. Mes amis artistes proches sont des grands soutiens, et le fait que leur travail existe m’aide. Je me passionne régulièrement pour des pianistes et ça dure longtemps à chaque fois. En ce moment c’est Glenn Gould et écouter ses enregistrements, l’écouter travailler, sa façon de faire entendre, sa vision du tout, de la structure, cela m’aide. En l’écoutant j’ai l’impression d’avoir un copain d’atelier qui travaille à côté de moi. Ensuite je regarde beaucoup de films, récemment j’ai vu Pulp Fiction au cinéma et ça m’a beaucoup marqué, j’y repense souvent, à comment c’est composé, l’ambiance, la présence des personnages… Je me suis passionnée pour les films de Rohmer et Chabrol récemment donc je regarde tout ce que je peux, prend des notes sur les films, lis des critiques. Ça, ça m’influence. L’atelier c’est le lieu où je lis de la poésie, comme le piano, en train de travailler à des peintures. Les poèmes de Angelus Silesius ne sont jamais loins, comme ceux de Ingeborg Bachman. Un peintre qui a été très important pour moi et l’est encore c’est Bram Van Velde. Celui qui m’a marqué quand j’ai commencé à peindre est Soutine, c’est encore un soutien. Sa peinture contient tout ce qui me touche. Une force de vie incroyable, qui prend tout, emporte tout et donne ce sens du tout, une force de vie grave et profonde et en quête, quelque chose de sacré. Il y a quelque chose de l’être, qui touche à l’être. Et j’aime qu’on sente qu’il ait prit des risques, parce que c’est important. Il risque de rater et quand son tableau est vivant, j’en reçois beaucoup sur le sens de la peinture. Joan Mitchell aussi est un soutien pour moi depuis longtemps, je me sens proche de son sens de la peinture et ça me donne du courage. Je pourrai en citer tellement. Morandi, Philip Guston, Gwen John, De Kooning, Max Beckmann, Braque, Diebenkorn. Récemment j’ai découvert le travail de Lucas Arruda à la galerie Zwirner et ça m’est resté à l’esprit, j’ai aimé ses tableaux et sa façon de grater dans la matière.

Ton travail était exposé cet hiver à la galerie Charaudeau à Paris. Sur quoi travailles-tu actuellement? Et as-tu des projets à venir? 

Je prépare une exposition qui commencera le 18 juin à Quincy, en Haute-Savoie. Ensuite le 22 septembre débute mon exposition au 30 rue du docteur Potain, à Paris.
Informations exposition
Monts – exposition du 18 juin au 31 juillet 2022
vernissage le 18 juin
Visite sur rdv 0652136511 ou witchazel@orange.fr
1 rue chemin du cruz – 74440- Mieussy
 Œufs, 2022, huile sur toile, 24X19 cm
Œufs, 2022, huile sur toile, 24X19 cm
Œufs, 2022, huile sur toile, 24X19 cm
Œufs, 2022, huile sur toile, 24X19 cm
 Œufs, 2022, huile sur toile, 24X19cm
Œufs, 2022, huile sur toile, 24X19cm
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