Comment figurer une présence dans un espace? Comment matérialiser notre rapport avec un environnement immédiat, avec le corps de l’autre ? Comment traduire picturalement ces sensations subjectives et souvent indescriptibles? 
C’est la recherche de la peintre Sarah Maison, invitée sur mon magazine cette semaine. L’artiste voit en la peinture le médium privilégié à ces questions de représentations. Tournée vers l’intériorité de ses figures, l’artiste établit un constant dialogue entre un travail de figuration et d’abstraction. Le décor devient le théâtre de ses ressentis. Les frontières entre espace et figure se font peu à peu dissoutes. Les formes et les couleurs dansent et se rencontrent naturellement. Grande coloriste, sa peinture se fait diffuse et sa couleur se meut librement. 
C’est une peinture résolument sensible dont son travail de la couleur exalte ses intentions. 

Avec Sarah nous sommes revenues sur son parcours, sur ses recherches picturales et sur ses principales influences créatrices. 

L’artiste m’a, à cette occasion, partagée ces dernières créations, que je vous présente à mon tour cette semaine. 

L'artiste Sarah Maison

Pourriez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Sarah Maison, j’ai 30 ans et je pratique la peinture. Depuis enfant, j’ai toujours eu beaucoup de goût pour l’art et le dessin et j’ai eu la chance de pouvoir suivre des études autour de cette pratique. J’ai d’abord intégré l’école Olivier de Serres, où j’ai fais une prépa artistique. J’ai rencontré un professeur qui m’a poussée à faire de la peinture et à intégrer les Beaux Arts de Paris. Après la prépa, j’ai suivi une formation en DMA Fresque et Mosaïque puis j’ai passé le concours des Beaux Arts où j’ai été reçue en 2011. Je faisais partie de l’atelier de François Boisrond où je suis restée tout au long de mes études.
Thibaut et moi, 195x114cm, 2021, huile sur toile
Thibaut et moi, 195x114cm, 2021, huile sur toile
Dans les peintures que j’ai pues contempler chez Tajan à Paris, j’ai remarqué que si les traits des visages de vos personnages sont réalisés avec attention ils tendent à se fondre, voire à disparaitre dans la matière. Les pupilles sont d’ailleurs souvent absentes. Que souhaitez-vous transmettre avec ce parti-pris de représentation?

Les toiles que vous avez vues chez Tajan correspondent à une évolution dans mon travail de représentation. Effectivement je ne peignais que très rarement des figures avant cela parce que je ne savais pas comment les introduire dans mes images. Pourtant figurer une présence à toujours fait parti de mes désirs picturaux. Je comprends depuis peu que les formes que prennent les choses dans la représentation artistique doivent transmettre/véhiculer la substance de ce que l’on traverse.
Il est vrai que mes figures ont tendance à s’abstraire et à disparaitre petit à petit. Cela est lié à la difficulté que consiste pour moi à montrer une présence. Je pense que j’essaye de la capturer dans le mouvement par lequel elle disparait à elle-même. J’aime que mes figures se laissent absorber par ce qui prend consistance autour d’eux. Vous l’avez bien remarquée, c’est comme si leurs traits tendaient à se fondre dans la matière. Je dirais qu’il s’agit pour moi de montrer comment l’espace autour vient nous envelopper, comment ce qu’on perçoit du monde et de notre corps viennent à se fondre l’un dans l’autre.
Ne pas trop figurer, c’est aussi libérer le regard, le laisser chercher ce qu’il veut voir.

Parfois vous tronquez volontairement un individu ou le représentez de dos. Ne pas s’attarder sur une individualité particulière, est-ce pour vous une façon d’orienter l’attention du regardeur ?

Je ne pense pas chercher à orienter l’attention du regardeur. Il y a quelque chose qui arrive avec la peinture assez directement, et parfois les images prennent leurs formes d’elles-même. J’aime bien cette idée du hasard et de chercher à le capturer.
La plupart du temps je suis mon propre modèle pour ce qui est des personnages. Même si il y a souvent un personnage en plus que je choisis, c’est toujours pour m’abstraire devant ou face à lui. Il y a un moment où la présence m’excède. C’est pour cela que  j’ai besoin de la multiplier ou bien de chercher un moyen de la figurer autrement. Sans doute que je ne cherche pas à représenter quelqu’un en particulier, mais la sensation physique que me procure le rapport au corps de l’autre.
Grand Canyon, 150x150cm, 2021, huile sur toile
Grand Canyon, 150x150cm, 2021, huile sur toile
Vos compositions de grandes dimensions sont souvent très équilibrées à l’image de la peinture classique française ou de la renaissance  italienne : composition pyramidale, architectures en arrière plan soulignant un rythme ternaire… Pour autant ce sont des personnages modernes et féminins qui y prennent vie. Cette peinture est-elle une de vos principales influences? Si, non quelle sont-elles?

Effectivement j’ai été beaucoup influencée par la peinture italienne, notamment par la Trinité de Masaccio dont la composition m’a beaucoup inspirée, mais aussi la Crucifixion (de Masaccio aussi) que j’ai pu voir à Naples et qui m’avait bouleversée. Ma mère est originaire d’une petite ville du Nord de l’Italie, Spilimbergo. C’est une ville très riche par ses fresques et ses mosaïques. Je ne sais pas jusqu’à quel point cela fait vraiment parti de moi, toujours est-il que cela m’habite dans mon imaginaire, et jusqu’à la matière que je donne à mes tableaux.
J’aime aussi la période plus maniériste de la Renaissance, notamment les tableaux du Tintoret.
Sinon l’expressionnisme de Munch et de Max Beckmann me parlent aussi beaucoup. Dernièrement, je me suis fascinée pour Picasso. Mais je regarde aussi, bien sur, beaucoup de peintures contemporaines, comme par exemple Farah Atassi, Matthias Weischer, Luc Tuymans, Marlène Dumas, Noah Davis, Sanya kantarovsky, Kai Althoff…
 Leurre (après Masaccio), 150x150cm, 2020, huile sur toile
Leurre (après Masaccio), 150x150cm, 2020, huile sur toile
Leurre 2, 150x150cm, 2021, huile sur toile
Leurre 2, 150x150cm, 2021, huile sur toile
Pourriez-vous nous décrire votre processus créatif ?

La forme que prennent mes images tient d’une certaine spontanéité du geste, puis consiste à enlever au fur et à mesure ce qui est trop là.
Plusieurs éléments se rencontrent lorsque je crée mes compositions: il y a d’abord une image mentale que viennent nourrir des photographies, des objets souvenirs ou des objets présents dans l’atelier. J’aime aussi introduire, parfois, des éléments peints d’après nature. Tous ces objets exercent une sorte de fascination et je tente de rendre par la peinture tous les détails perçus dans leurs observations.
Masaccio, 50x40cm 2020 huile sur toile.
Masaccio, 50x40cm 2020 huile sur toile.
Vous réalisez également de petits formats. Souvent composés d’aplats de couleurs vives, ils représentent souvent dans un cadre étroit un détail d’une scène. Pouvez-vous nous parler de vos créations dans cette échelle?

Oui, c’est vrai les détails m’obsèdent souvent. Parfois, ils cristallisent en eux tout ce qui a pu constituer un événement. Je dirais qu’une fois de plus, ces peintures m’apparaissent d’elles-même et sont une façon de montrer, plus que de dire complètement quelque chose.

Malgré la situation avez-vous des projets en cours ou à venir à partager?

Pour l’instant je suis en attente de plusieurs choses, mais rien n’est vraiment concret.


Grand Bain, 146x114cm, 2019, huile sur toile
Grand Bain, 146x114cm, 2019, huile sur toile
Toboggan, 33x22cm, 2017 huile sur toile
Toboggan, 33x22cm, 2017 huile sur toile
Sans titre, 2020, Gouache sur papier Kitakata 40x50cm
Sans titre, 2020, Gouache sur papier Kitakata 40x50cm

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