L’art de Rob Miles attire le regard et le met au défit. Si à première vue nous reconnaissons l’espace représenté, par sa figuration et sa précision dans la représentation d’espaces, l’artiste en renouvelle sa perception. Effectivement, ce talentueux peintre anglais, désormais installé depuis quelques années à Paris, questionne sans cesse l’évocation picturale de l’espace. Fasciné autant par les espaces domestiques que par ceux publics, que l’artiste observe avec grande attention et minutie, @rob__miles se plait à les recomposer librement. Sur l’espace de la toile, les éléments les composant deviennent autant de points de vus différents. Et à cette liberté de perception s’ajoute une liberté de représentation. Les formes sont parfois réduites à l’essentiels et viennent à s’abstraire et à se géométriser. Sa manière suffit à nous permettre de reconnaître immédiatement une silhouette, un objet ou un espace comme si on les percevait de loin et de haut. Si l’artiste exalte la deux dimensions, ses tableaux souvent de grandes dimensions, accrochés au mur bouleversent pleinement notre façon de les admirer et de les appréhender. 
A travers cette sélection d’œuvres, vous pourrez observer comment l’artiste manipule avec habilité tous ces jeux visuels tout en maintenant l’atmosphère propre à chacun de ces lieux.

L'artiste Rob Miles

Peux-tu te présenter ? ( courte biographie, parcours, comment était venu à te consacrer à la peinture…)

Je suis né à Londres en 1987. J'ai grandi à Brighton, UK, et j'ai trouvé une passion pour le dessin et la musique depuis mon très jeune âge. J'ai fait mes études à Londres en Fine Art : Print & Time Based Media, au Wimbledon College of Arts, et mon master au Royal College of Art en Fine Art : Printmaking, en me spécialisant dans la lithographie sur pierre.
Après avoir obtenu mon diplôme en 2015 j'ai déménagé à Paris, où j'ai formé un groupe de musique, Les Clés Anglaises, pour réaliser mes compositions sur scène, et j'ai continué mes recherches picturales en dessin, collage, lithographie et peinture.


" Dans une tentative de dessiner tout l'espace en une seule image, j'ai envisagé une vue d'en haut, ce qui m'a permis d'organiser les éléments avec une certaine fidélité à l'espace d'origine et en même temps une abstraction aux formes et aux figures. "

Rob Miles
Les Baigneurs, 2021, huile sur toile, 160 x 160 cm_photo  © Romain Darnaud
Les Baigneurs, 2021, huile sur toile, 160 x 160 cm_photo © Romain Darnaud
Tes peintures sont remarquables notamment pour le(s) points(s) de vues que tu choisis. Souvent perçues telles des vues aériennes, elles mêlent toutefois différents points de vue dans une même composition. Vues d’en haut et de loin, certains éléments sont quant à eux ramenés de face. Finalement, tes compositions sont pleinement libres et notre perception de l’espace est bouleversée. Comment t’es venu cette idée ? Et que cherches-tu à susciter chez le regardeur ? 

Pendant mes études je me suis concentré sur la déconstruction d'un langage pictural, à travers l'effacement et la duplication d'une image, en jouant avec la simplification des figures et leur mise en scène dans l'espace pictural, toujours avec un intérêt pour l'illusion de profondeur dans l'image bidimensionnelle. En parallèle, j'ai dessiné des gens, des objets et des scènes devant moi, un dessin d'observation plus traditionnel, qui était une forme de journal intime, un interrogatoire linéaire sur mon environnement actuel.
Cependant, j'ai eu du mal à trouver un moyen d'intégrer ces deux recherches picturales, le dessin d'observation et l'abstraction graphique. Comment pourrais-je faire les deux de manière satisfaisante dans une même pratique ?
C'était avec cette question au cœur de mon travail que je suis arrivé à Paris. Au cours de la première année, j'ai fait un projet d'écriture autour des crocodiles dans la maison des reptiles à la Ménagerie du Jardin des Plantes. J'étais fasciné par l'architecture remplie de verdure, et la mise en scène de ces bêtes, et c'était un lieu mystérieux et inspirant, calme, mais ponctué par l'activité des gardiens et le passage des visiteurs. J'ai décidé d'accompagner ces textes expérimentaux avec des dessins, alternant librement entre mes styles de représentations, tantôt très observés, tantôt très simplifiés. Dans une tentative de dessiner tout l'espace en une seule image, j'ai envisagé une vue d'en haut, ce qui m'a permis d'organiser les éléments avec une certaine fidélité à l'espace d'origine et en même temps une abstraction aux formes et aux figures.
Pendant ce temps, lors de ce projet au Jardin des Plantes, j'ai suivi un cours du soir de français, qui se tenait dans les salles d'une école primaire. J'ai trouvé la salle de classe fascinante, avec tous les accessoires éducatifs - le tableau vert avec un grille pour l'écriture manuscrite, les règles géométriques surdimensionnées, les affiches aux murs, la carte du monde sur le mur derrière, un évier, l'horloge, etc. En essayant de dessiner tout cet espace en un, comme chez les crocodiles, je me suis rendu compte que la vue plongeante n'était pas suffisante pour certains éléments, en particulier ceux qui sont accrochés aux murs. J'ai décidé de déplier l'espace, de montrer chaque figure sous son angle le plus intéressant, en tenant compte de sa relation avec les autres éléments et la composition en général. C'était en travaillant sur cette image en plusieurs versions, que j'ai réalisé que c'était la solution que je cherchais depuis un moment, une approche qui m'as permis de dessiner à partir de l'observation sur place et en même temps de jouer avec les compositions graphiques et semi-abstraites. J'ai décidé d'explorer cette approche plus loin, avec une série d'intérieurs qui sont dépliés et fragmentés, sans un seul bon sens de lecture. Il y a suffisamment d'informations reconnaissables pour inciter le regardeur à entrer dans l'espace pictural de la même manière que l'on découvre un espace réel: une vue de l'ensemble puis une découverte des détails petit à petit, tournant le regard dans toutes les directions, mais confronté à des pièges et des jeux visuels qui attirent l'attention sur l'illusion de la construction et les potentiels de l'espace de l’imagination.


A ces points de vue originaux, s’ajoutent une précision dans la réalisation de chacun des éléments de tes compositions. Ce sont souvent des intérieurs et nous nous plaisons à admirer chacun des détails les composants. Qu’est-ce qui te plait dans la représentation d’intérieurs domestiques ?​​​​​​​

Effectivement, c'est mon plaisir de dessiner les objets du quotidien qui nous entourent, et des détails qui définissent un espace particulier, ils m'ont décidé à me concentrer davantage sur les intérieurs. Ce sont souvent des espaces domestiques, mais aussi des lieux publics que nous partageons, comme un café ou le théâtre, où il y a une forme d'échange : des conversations ou des histoires racontées, parmi des accessoires et des meubles spécifiques. Ce que j'aime particulièrement dans les intérieurs domestiques ce sont les objets et les meubles qui sont assez familiers, que l'on peut trouver dans presque tous les appartements / maisons occidentaux, mais qui sont dans un arrangement particulier par rapport à l'architecture, et qui sont pimentés par un choix de couleurs spécifiques, des variations de formes et d’éléments inhabituels. C'est cette répétition et cette différence, les variations du familier, qui m'intriguent, et nos routines dans les endroits où nous habitons.
Kitchen (VI), 2020, huile sur toile, 150 x 150 cm © Romain Darnaud
Kitchen (VI), 2020, huile sur toile, 150 x 150 cm © Romain Darnaud
Every Now And Then Again, 2020, huile sur toile,107 x 80 cm -  © Romain Darnaud
Every Now And Then Again, 2020, huile sur toile,107 x 80 cm - © Romain Darnaud
Ta façon de concevoir librement l’espace d’un intérieur et ton attachement aux objets me rappellent la réflexion de Matisse sur son travail selon laquelle le décoratif devait primer sur tout. Tu sembles à ton tour particulièrement sensible à la représentation d’un ensemble décoratif. Matisse a-t-il été l’un des artistes qui t’a inspiré ta réflexion picturale ?  

Oui, Matisse, bien sûr ! C'est son 'Intérieur aux Aubergines' qui me fascine en particulier depuis longtemps, pour la façon dont tout est aplati par le motif du papier peint qui se poursuit sur les murs et le sol sans changer de direction, mais aussi pour le nombre de cadres qui ouvrent et ferment l'espace pictural : la table, le paravent (avec l'affiche d'un autre motif), la porte, le rideau, la fenêtre, le miroir, les cadres accrochés aux mur, le cheminée, le portfolio... !

Comment procèdes-tu habituellement pour réaliser ces compositions ?

Tout commence par le dessin (les images mais aussi mes idées - c'est par le dessin que je fais avancer mes pensées intellectuelles autour des œuvres et que je trouve les chemins pour avancer). Je dessine sur place et à partir de mes souvenirs. Je n'utilise pas de photos, je trouve que cela ferme l'image et perd le potentiel d'un regard imaginatif en mouvement. J'ai toujours un carnet de croquis avec moi. Parfois, le dessin sur place fonctionne directement, il y a une bonne composition et il contient tous les éléments que je veux inclure, alors que parfois c'est une certaine partie ou idée que j'aime bien, mais elle n'est pas réalisée de la meilleure façon et c'est plus tard, dans l'atelier, que je construis l'image avec une combinaison de ces détails et l'invention de ceux dont je me souviens, ou que je peux envisager. Dans ce cas, j'ai souvent envie d'ajouter quelque chose en particulier, une plante spécifique, par exemple, ou un certain point de vue d'un personnage, et je dois chercher cet élément dans la vie réelle pour bien l'étudier et éviter qu'il ne devienne trop 'cartoon' avec un invention trop simplifiée.
Une fois que j'ai un dessin qui me plaît, j'aime retravailler l'image plusieurs fois, dans plusieurs mediums (par exemple dessin en couleur, collage, lithographie, peinture) parce que chaque approche m'oblige à reconstruire la composition de base de l'image, et permet plus ou moins des détails.
Elsewhere Ensemble, 2020, Huile sur toile, 107 x 80 cm
Elsewhere Ensemble, 2020, Huile sur toile, 107 x 80 cm
Une partie de ton travail présente quant à elle une tout autre manière d’appréhender l’espace et la représentation des figures et objets. Sur un fond coloré et abstrait, sont comme « éclatés » des objets et des figures sur la surface. A priori sans liens apparents, ces motifs évoluent et se côtoient librement sur la toile. Une production qui n’est pas sans rappeler l’œuvre des cubistes. Peux-tu nous parler de ces travaux ?

Ce côté de mon travail partage les mêmes idées en général mais avec d’autres sujets que les intérieurs spécifiques.
Avant de trouver ma solution de déplier un espace particulier en prenant la vue plongeante comme point de départ, j'ai travaillé avec des figures et des fragments composés sur un fond que j'ai appelé 'non-dimensionnel' - ni plein, ni vide, une zone de potentiel où tout geste ou suggestion d'images peuvent être placées et peuvent remettre en question l'espace virtuel qu'ils occupent. Une sorte de rébus sans traduction. Je n'étais pas tout à fait satisfait de cette approche, car elle était trop aléatoire, il manquait un sujet, un fil conducteur, et c'était loin de mes dessins d'observation que je faisais en parallèle.
Après avoir décidé d'ancrer mes idées graphiques dans une figuration et une représentation d'un espace plus accessible, en faisant mes intérieurs, j'ai trouvé une nouvelle liberté de ne pas avoir besoin d'un sens fixe de la lecture, ou d'une image 'debout', et cela a beaucoup joué sur mon approche du dessin sur le vif dans mes carnets. Je me suis rendu compte que je pouvais dessiner 'en direct' les scènes, les personnes, les détails etc. Ce qui m’attire et me permet d’aller aussi loin dans l'abstraction que dans mes œuvres précédentes, en restant toujours en relation avec ce que je vois devant moi. J'ai commencé à travailler sur des images plus simples et plus intimes : un couple prenant un café autour d'une table, une personne lisant dans le train, l'ombre d'une plante qui s'étend sur des carreaux... et cette simplicité d'image plus la liberté de composition m'ont aidé à revenir doucement à un style plus proche de mes œuvres précédentes, avec plus de poésie et plus d'espaces vides, ou 'non plein' !

J’ai évoqué plus haut de possibles influences avec le travail de Matisse et des cubistes. Quelles sont tes principales influences artistiques personnelles ?

En développant mon approche actuelle, j'ai beaucoup regardé l'art de l'Egypte ancienne, et les estampes japonaises, ainsi que l'infographie contemporaine et les hiéroglyphes d'icônes sur les interfaces de nos écrans d'ordinateur. Il y a pas mal des textes autour de l'espace de l'image et l'écran qui m'ont beaucoup intéressé, y compris 'The Virtual Window, From Alberti to Microsoft' d'Anne Friedberg, et 'Screen Space Reconfigured', une collection d'essais édités par Susanne Ø. Sæther et Synne T. Bull.
J'ai un rapport très proche avec le travail de David Hockney, sa fidélité au dessin d'observation et son expérimentation constante avec ses médiums et avec son questionnement de l'espace pictural.
Je suis très interpellé par l'œuvre d'Helen Marten, ses sculptures, vidéos et textes sont fascinants et terrifiants dans leur complexité : son travail est l'accumulation de textures et de sensations de la vie quotidienne, le familier rendu énigmatique et poétique.
C'est moins évident, mais je suis un grand fan de Cy Twombly. Il y a une sensibilité qui me touche profondément et qui m'inspire au-delà des 'idées' et du contenu narratif ou conceptuel dans l'art. Dans mes moments de doute et de fatigue, il me suffit de regarder un livre de Twombly pour me dynamiser, me pousser à faire évoluer mon dessin et ne pas rester coincé avec une idée intellectuelle.
Au-delà des artistes plasticiens, je suis très inspiré par la littérature, en particulier les textes expérimentaux et autoréflexifs, comme 'Si Par un Nuit d'Hiver un Voyageur' de Calvino ou les 'Exercices du Style' de Queneau par exemple.

Tu exposais récemment chez Tajan, as-tu de futurs projets sur lesquels tu travailles que tu aimerais évoquer ?

Je participe à 'Novembre à Vitry' cet hiver, et j'ai quelques projets de dessins et de collages en cours pour l'année prochaine. J'expérimente actuellement une forme de peinture en morceaux découpés, inspirée par des Opus Sectiles de la Rome antique que j'adore, ainsi que par les marqueteries de la Renaissance et les sols en mosaïque de marbre de la cathédrale de Sienne. Si cette technique fonctionne, je l'utiliserai pour un autre projet que j'ai en cours pour un exposition à l'avenir : une œuvre basée sur la 'Bataille de San Romano' d'Uccello, dans laquelle je refais les trois scènes de la bataille en prenant le point de vue contre-plongée... Un vrai challenge d'imagination !
 Poolside Scrabble, 2021, huile sur toile, 141 x 188 cm © Romain Darnaud
Poolside Scrabble, 2021, huile sur toile, 141 x 188 cm © Romain Darnaud
The Guitar Player_2021_huile sur toile_150 x 150 cm © Romain Darnaud
The Guitar Player_2021_huile sur toile_150 x 150 cm © Romain Darnaud
 In A Tangle, 2021, huile sur toile, 80 x 80 cm
In A Tangle, 2021, huile sur toile, 80 x 80 cm
Café-Bar (VI), 2020, huile sur toile, 150 x 150 cm  © Romain Darnaud
Café-Bar (VI), 2020, huile sur toile, 150 x 150 cm © Romain Darnaud

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