Lorsqu’on regarde le travail de Nicolas Gaume, une forme de complicité s’installe entre ses toiles et nous-même. De tableau en tableau, on se plaît à retrouver les déclinaisons de ces visages et paysages (Sans-titre, montagne-triangle ; Sans-titre, brûler son bateau..). Une palette de couleurs, vives ou douces se répand sur ces motifs familiers et un dialogue opère entre chacune de ses toiles. A travers un langage formel bien précis, Nicolas Gaume nous fait entrer dans son monde avec des repères. Car si la touche varie – en spirale, faite de larges aplats de couleurs ou au contraire de petites touches et d’inscriptions – et si les motifs se renouvellent, l’exposition Conversation propose de révéler toutefois les nombreux échos qui se créent et se nouent entre chacune de ses peintures, affirmant une véritable unité dans l’Oeuvre du peintre.
(extrait du communiqué de presse de l'exposition
Conversation (part.1)
22-16.11
15 rue Guénégaud)
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Nicolas Gaume, j’ai 27 ans. Je fais de la peinture dans mon atelier à Ivry, entouré par d’autres ami.e.s peintres et dessinateurs, tous rencontré.e.s aux Beaux-Arts de Paris où j’ai été étudiant entre 2015 et 2021.
" Le travail en série sert à trouver le ton juste. Comprendre comment aborder un motif. En le retravaillant et en approfondissant, je finis par saisir le ton avec lequel j’aimerais peindre un sujet, comme s’il fallait répéter quelque chose pour trouver la bonne tonalité, trouver la bonne façon de le faire."
Nicolas Gaume
Jusqu’à présent ta peinture était particulièrement marquée par la présence de personnages dans des compositions de grandes dimensions. Les séries que tu développes depuis un an, sans-titre montagne-triangle ou sans titre, brûler son bateau en sont dépourvues et semblent ouvrir vers une nouvelle voie dans ta création. Peux-tu nous dire quelques mots sur cette évolution ?
J’ai commencé à faire de la peinture avec la volonté de représenter des personnages dans des espaces .. J’insiste sur le mot « personnage », car ce n’était pas des portraits: ces personnages n’existaient pas en dehors des peintures. Je fabriquais ces figures d’imagination tentant de construire leurs identités à travers une somme de références (allant de la peinture classique au cinéma contemporain); Plus tard, aux Beaux- Arts et jusqu’à maintenant, j’ai commencé à peindre des portraits à partir des photos que je prenais de mes proches, dans mon atelier. Peut-être pour aller plus vite dans le processus de création. En revanche, l’intention d’en faire des « personnages » restait la même, il ne s’agit pas pour moi de les représenter eux, mais plutôt d’emprunter leurs visages pour essayer de provoquer une forme de narration dans la peinture. Par la suite, l’année dernière, j’ai commencé à ressentir le besoin de m’éloigner un petit peu de la figure, peut être pour me détacher du caractère intime que représente le fait de faire de faire poser quelqu’un de proche. Et à la fois, on ne peut pas dire que ce détachement soit radical, car je suis en train de peindre Sarah (n.d.l.r la peintre Sarah Maison) en ce moment et que je n’ai pas l’intention d’arrêter de peindre des visages. Cette envie de m’éloigner quelque peu de la figure s’est formalisée à travers deux sujets qui tombaient bien: le bateau et la montagne. Ils ne nécessitaient pas forcément d’utiliser des personnages. Le bateau était un peu comme une métaphore d’un exil intérieur. Et puis avec à la montagne, j’avais justement représenté au départ un homme au premier plan en train de marcher et je me suis par la suite rendu compte que j’avais fait ce choix par habitude, pour la narration, mais qu’il était peut être plus intéressant pour une fois d’employer le motif initial pour lui même. Alors j’ai effacé cette figure pour assumer le caractère géométrique de ce paysage avec la montagne et la construction devant. Je pense que cette façon de trouver une certaine économie dans le sujet peut avoir une influence sur mes prochaines peintures.
Pour ton exposition à la galerie de l’Al/Ma tu explores notamment différentes variations de ce motif singulier : un portique qui s’imbrique dans une montagne triangulaire. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce motif? Est-ce une façon d’intégrer un motif plus géométrique à ton travail ? Ainsi se mêle différents styles : abstraction / figuration, géométrique / figuratif / ligne/ couleur ..
Pour cette peinture-là, c’était d’assumer ce qui m’avait séduit à la base quand j’avais pris en photo ce paysage. Le caractère géométrique de la montagne avec ces trois portes. Pour l’assumer pleinement sur la peinture, l’utiliser comme telle et jouer avec ces formes géométriques. C’est en partie ce qui me plaisait avec cette image. Je ne sais pas si cela emboîte le pas sur une façon plus géométrique pour moi maintenant de travailler. Je ne pense pas.
Tu réalises en parallèle toujours un travail de portraits et ce sur petit format.
Avec les portraits de Sarah, j’essaie de me re approprier un dessin plus libre. Jusqu’ici, j’utilisais beaucoup de poncifs (un calque piqué pour reproduire le dessin) et là, de m’en séparer, cela m’a permis de me re approprier cette façon de créer des personnages, comme je le faisais au début lorsque j’ai commencé à peindre.
Tu continues en revanche à travailler par série : chaque tableau en constitue une variation de celle-ci. Que te permet la série dans ton travail ?
Le travail en série sert à trouver le ton juste. Comprendre comment aborder un motif. En le retravaillant et en approfondissant, je finis par saisir le ton avec lequel j’aimerais peindre un sujet, comme s’il fallait répéter quelque chose pour trouver la bonne tonalité, trouver la bonne façon de le faire. C’est par ce travail en série que j’arrive après à comprendre de nouvelles choses et à trouver de nouvelles directions. Travailler en série permet d’aller jusqu’au bout de chaque option, c’est une manière à la fois de refuser de devoir faire des concessions et de se permettre de garder certaines spontanéités.
Cette façon de travailler par série donne un rythme cyclique à ta création. Il y a l’idée finalement de « créer du nouveau dans le même ». Peux-tu développer ou commenter cette idée ?
Cette idée justement de « trouver du nouveau dans ce que qu’on a déjà peint » j’en parlais récemment avec Thibaut (n.d.l.r le peintre Thibaut Bouedjoro-Camus). Nous parlions du fait que cela me semblait trop difficile de trouver un nouveau sujet après chaque peinture et que je n’avais pas du tout envie d’être dans ce rapport-là avec la peinture, d’être constamment dans une forme de renouvellement. J’aime aller jusqu’au bout de quelque chose, justement tout en restant dans une forme d’économie par rapport à ce que je peux représenter. J’ai un appétit pour la matière, mais je ne suis pas forcément très bavard non plus.
Ton travail mêle donc les styles : tu vas d’ailleurs exposer pour la première fois avec une galerie plutôt spécialisée dans l’art minimaliste
Quand on m’a proposé d’exposer avec la Galerie Al/Ma, cela m’a justement donné envie d’assumer certaines tentations à aller vers des formes sinon abstraites, plus synthétiques. C’était un bon compromis pour moi et dans les derniers paysages il n’y a presque plus de perspective. J’ai l’impression d’avoir découpé les plans d’une façon différente de celle que j’ai l’habitude de faire. Avec les portraits cela m’a aussi permis de choisir une certaine efficacité par rapport au dessin et de renoncer à une forme de précision.
Quels artistes t’influencent dans ton travail?
J’évolue constamment entouré par tout un tas de références qui changent assez régulièrement.
Ces derniers temps, Josef Albers m’a beaucoup aidé à comprendre comment trouver de la profondeur et faire évoluer certaines couleurs, dans les verts notamment. Et puis parce que j’aime beaucoup toutes ces formes très simples. Ces formes géométriques qui s’enchevêtrent les unes dans les autres m’ont largement inspirée pour ma série sur les montagnes.
Ces derniers temps, Josef Albers m’a beaucoup aidé à comprendre comment trouver de la profondeur et faire évoluer certaines couleurs, dans les verts notamment. Et puis parce que j’aime beaucoup toutes ces formes très simples. Ces formes géométriques qui s’enchevêtrent les unes dans les autres m’ont largement inspirée pour ma série sur les montagnes.
Je regarde aussi beaucoup Goya dont l’utilisation des vides dans son espace pictural me fascine. J’ai très récemment été bouleversé par l’exposition d’Alice Neel au Centre Pompidou à Paris, et je il n’est pas impossible que cette expérience m’ait aussi donné envie de libérer mon dessin lorsque je fais des portraits.
Enfin, en ce moment il y a toute une série d’artistes de l’Hudson River School que je m’amuse beaucoup à regarder. Ces peintres, inspirés par l’école de Barbizon travaillaient parfois sur le motif, parfois à l’atelier et réalisaient d’immenses paysages avec une générosité invraisemblable et beaucoup de fantaisie. J’aime beaucoup les études de Frederic Edwin Church qu’il réalisait en pleine nature sur des petits cartons, s’attachant à représenter le réel avec beaucoup de force, présentant des espaces vierges, hors de tout anthropocène.