Aller à la rencontre de l’artiste Lucile Piketty et de ses œuvres c’est entrer dans un univers artistique unique. L’artiste se plaît à explorer un thème qu’elle imagine, non pas pour une seule et même œuvre mais au contraire pour en exploiter toutes ses possibilités narratives et plastiques en le déclinant sur plusieurs créations et surtout, sur différents supports. Peinture, pastel, gravure, l’artiste travaille souvent ces médiums en même temps lorsqu’elle débute une nouvelle série.
Si Lucile Piketty expérimente différents médiums, tous ont la particularité d’être de grandes dimensions et d’être réalisés dans une même rigueur d’exécution. Nous sommes alors confrontés à des femmes immenses, à des paysages grandioses et profonds, où on se perd aisément dans leur contemplation. Ce sont bien sûr des œuvres qu’il faut appréhender de près pour en apprécier toutes leurs nuances et détails. Plus qu’une artiste, Lucile est une conteuse d’histoire: des narrations qui sont pleinement exprimées par sa grande habilité à créer des atmosphères exceptionnelles où la lumière y joue un rôle central. Ainsi, l’artiste réussit à nous transporter dans un espace hors du temps. 

C’est donc une brillante artiste que j’ai eu la chance de rencontrer et d’interviewer et que je vous présente à mon tour tout au long de cette semaine! 

L'artiste Lucile Piketty dans son atelier à Poush Manifesto

Pouvez-vous vous présenter?
Je suis née en 1990. J’ai étudié la gravure à l’école Estienne dans l’atelier de Françoise Petrovitch puis à l’école nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris dans la section Image Imprimée. Là, j’ai eu l’occasion de partir en échange aux États-Unis, à la Parsons school de New York. C’est un séjour qui m’a beaucoup inspirée. Après mes études, j’ai été en résidence à la Casa de Velazquez à Madrid en 2017-2018 puis à la Cité des Arts à Paris l’année suivante. Aujourd’hui, je travaille dans mon atelier à Poush-manifesto à Clichy.
Mes parents sont tous les deux peintres et nous ont très tôt initiées, mes soeurs et moi, à la peinture et à l’art en général. Certains tableaux ou expositions m’ont marquée petite et ont encore une très grande influence sur mon travail.


"  J’ai une attirance particulière pour le grand format et pour la dimension immersive qu’il permet. J’aime représenter mes figures presque à l’échelle humaine et que le spectateur soit plongé dans la composition.  "

Lucile Piketty


Deux sœurs, 2019, Pastel, 70 x 95 cm.
Deux sœurs, 2019, Pastel, 70 x 95 cm.

Vous travaillez différentes techniques et sur différents supports: l’huile sur toile, le pastel, la gravure sur bois, xylographie, la sérigraphie. Toutes vos oeuvres partagent le point commun d’être réalisées dans une même échelle: ce sont toutes des oeuvres de grande dimension. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce parti-pris ?

J’ai découvert la gravure à l’école Estienne et c’est une technique que j’apprécie particulièrement pour la grande variété de matières qu’il est possible d’obtenir ainsi que pour l’intensité des noirs que l’on ne trouve nul part ailleurs. Je me suis assez vite passionnée pour la gravure sur bois qui me permet de me passer de presses pour imprimer et donc de repousser les limites de formats que celles-ci impliquent.

J’ai une attirance particulière pour le grand format et pour la dimension immersive qu’il permet. J’aime représenter mes figures presque à l’échelle humaine et que le spectateur soit plongé dans la composition.

Je m’intéresse également beaucoup aux oeuvres qui ont ce rapport d’échelle, comme les papiers peints panoramiques ou les fresques italiennes qui m’inspirent et cela m’amène souvent à travailler en grands formats.

Qu’est ce qui vous décidera à utiliser une technique plus qu’une autre dans vos créations? Pourriez-vous nous décrire votre façon d’apprehender vos créations en amont et nous décrire votre processus créatif ?

Le choix de techniques dépend de ce que j’ai en tête et de ce que je veux transmettre. En ce moment, je m’intéresse beaucoup à la manière dont je peux associer les différentes techniques que j’utilise : peinture et gravure, pastels et gravures...

Avant de commencer une image, je réalise toujours des croquis très rapides. Je m’inspire de tout ce qui m’entoure, de la vie quotidienne, de l’histoire de l’art, de photographies que je prends. Je suis une grande collectionneuse et replace souvent dans mes compositions, des éléments qui me sont familiers, objets trouvés, récupérés... Ensuite, je commence directement la peinture en gardant sous la main mes croquis préparatoires et mes photographies de références. Je travaille souvent plusieurs toiles en même temps, je peux laisser de côté une composition pour prendre du recul et travailler sur autre chose en attendant que mon idée murisse.
Undefined territory I, 2018, Xylographie, diptyque, 200 x 150 cm.
Undefined territory I, 2018, Xylographie, diptyque, 200 x 150 cm.
Détail
Détail

Vos oeuvres partagent également souvent ses sujets: ce sont des personnages féminins, souvent présentés par deux ou en groupe évoluant dans des univers naturels dans lesquels elles semblent vivre. D’oeuvre en oeuvre ces personnages féminins semblent se ressembler. Qui sont-elles ?

Actuellement, je travaille sur une grande série de peintures et gravures où les personnages féminins sont mes soeurs. J’aime beaucoup faire poser mes proches, soeurs, amies, et que l’on sente une sororité dans l’ensemble des oeuvres.
Forêts et jardins sont les décors privilégiés de ces mises en scène car ils ont la particularité de nous maintenir « en dehors » de la ville, du monde, de la réalité, et convoquent un imaginaire lié aux contes et aux récits mythologiques. La figure féminine est omniprésente.

Quand vos personnages féminins sont peints, bien que placées dans une atmosphère nocturne, elles sont particulièrement éclairées: une lumière très vive est posée sur elles. Les couleurs se font assez saturées. Cet éclairage créé une atmosphère particulière et intrigante à ces narrations. Que souhaitez-vous souligner avec ces mises en scène ?

C’est très juste, je modifie souvent les couleurs et l’éclairage pour avoir cette atmosphère où la lumière est très importante. En ce moment je suis obsédée par les ambiances de nuits américaines, technique cinématographique qui permet de tourner des scènes de nuit en plein jour.
Je créée des « nuits lumineuses » dans mes tableaux, une atmosphère qui évoque un décor et interroge le spectateur sur la scène qu’il regarde. J’essaye d’introduire une dimension étrange, où des sujets familiers du quotidien, sont éclairés d’une manière nouvelle, dérangeante et déstabilisante.

Dans vos oeuvres graphiques, vous scindez vos compositions en diptyque ou alors « découpez » le motif sous forme de mosaïque. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce morcellement de la scène que vous représentez ?

Le format des diptyques et triptyques m’intéresse beaucoup car cela me pousse à scinder ma composition et me permet de mettre l’accent sur différents éléments d’un même ensemble, faire dialoguer les éléments entre eux. Je travaille aussi très souvent de manière sérielle, j’aime développer une idée sur plusieurs peintures, gravures et dessins, et que toutes ces images se répondent.
 Les gardiennes, 2020, Huile sur toile, 114 x 146 cm.
Les gardiennes, 2020, Huile sur toile, 114 x 146 cm.
Avez-vous des influences artistiques que vous souhaiteriez nous partager?

Mes sources d’inspirations sont assez larges, la peinture me passionne mais je suis aussi très intéressée par les arts populaires, les estampes japonaises, les papiers peints panoramiques et la littérature... Si je devais citer quelques artistes dont j’admire particulièrement le travail, je dirais avant tout Paula Rego dont les pastels et peintures me fascinent complètement, Alice Neel, Peter Blake, Wayne Thiebaud, Lucian Freud, David Hockney, Balthus, Hopper, Masereel, Suzanne Valadon, Watteau, Manet, Frans Hals et d’autres...

Quand aurons-nous la chance d’admirer vos oeuvres en vrai? Avez-vous des projets d’expositions?

Dans le cadre du Prix de Dessin Pierre David-Weill je devais exposer à l’Académie des beaux-Arts à Paris en avril mais l’exposition est reportée en raison du covid et des mesures de confinement récentes. Plusieurs projets sont en suspens mais je suis très heureuse d’avoir été sélectionnée par Hervé Mikaeloff pour participer à l’édition 2021 d’Art Paris avec une exposition spéciale à Poush qui devrait avoir lieu en septembre, si tout va bien.
De dos
De dos
Pavot, pastel
Pavot, pastel
Dos (Constance), 2019, Pastels, 31 x 41 cm
Dos (Constance), 2019, Pastels, 31 x 41 cm
Undefined territory II, 2018, Pointe sèche et manière noire, 70 x 90 cm.
Undefined territory II, 2018, Pointe sèche et manière noire, 70 x 90 cm.
Deux sœurs, 2019, pastel, 70x100cm
Deux sœurs, 2019, pastel, 70x100cm

Les créations de Lucile Piketty sont à découvrir sur son site :  

Et sur son instagram :
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