Lucas Talbotier peint des paysages abstraits. Ces derniers matérialisent des sensations immatérielles et fixent ses souvenirs de ces lieux traversés. Sur la surface picturale, il ne reste du paysage que les teintes, l’essence de ce qui persiste en mémoire malgré le temps et la distance avec celui-ci. Si le peintre, à travers ses représentations, donne parfois quelque repères figuratifs (une branche, une feuille, un tronc d’arbre) il ne retient que l’essentiel et tient toujours à distance le regardeur. « On ne se rappelle que de peu de choses. Je me concentre donc sur ces souvenirs, le reste est une grande lumière qui se dépose sur la toile comme un voile. » explique le peintre. En effet, Lucas Talbotier trouble toujours leur appréhension en procédant systématiquement à leur recouvrement par des pigments blancs. Ce principe crée un rythme de lecture de ses compositions entre apparition et disparition, ouvrant en quelque sorte de fines percées sur un paysage qu’on imagine bien plus vaste et infini.
Lucas Talbotier est un peintre français basé à Paris. En 2018 l’artiste sort diplômé de l’école des Beaux- Arts de Paris. Et dans le cadre de son cursus, le peintre a également étudié un an aux Etats-Unis à l’école Rhode Island School of Design.
Lucas Talbotier, Balade en forêt, 2023 Huile sur toile 19,5 x 24 cm / © Louise Conesa
" Il y a une reflexion sur la mémoire et la manière de suggérer avec un pinceau des souvenirs et des instants vécus. "
Lucas Talbotier
Peux-tu te présenter ?
Je m'appelle Lucas Talbotier, j'ai 29 ans et je suis peintre. J’ai passé une partie de mon enfance à Hong-Kong et l'autre en île-de-France.
La peinture est venue naturellement et est maintenant au centre de ma vie.
J’ai étudié aux Beaux-Art de Paris et effectué un échange à RISD, aux Etats-Unis.
Je peins actuellement dans mon atelier à Montrouge.
Tu réalises des peintures de paysages abstraits où la couleur, la lumière et le geste viennent matérialiser des réminiscences d’instants vécus, de souvenirs persistants malgré le temps et la distance avec le lieu traversé. La nature et les paysages ont-ils toujours été ton sujet pictural de prédilection et la peinture le medium privilégié à tes recherches ?
Oui, j'entre dans la peinture à travers le paysage et la nature. Ce sont des prétextes qui me permettent de réfléchir et questionner la peinture.
Il y a une reflexion sur la mémoire et la manière de suggérer avec un pinceau des souvenirs et des instants vécus.
Tu as étudié aux Etats-Unis, tu voyages régulièrement en Afrique. Est-ce la diversité et la découverte de ces paysages qui t'ont ouvert la voie à ce travail ou la nature a toujours été ce qui t’inspire et t’émeut le plus ?
Si les voyages et les découvertes occupent une place importante dans ma vie, il n'y a que très peu de souvenirs que je rapporte à l'atelier.
Le mouvement d'un voyage rend quelque fois difficile la saisie d'un souvenir.
Je préfère par exemple peindre des forêts comme celle de Vauhallan, autour de l'abbaye de Limon.
J’ y ai grandi et je la connais. Il y a là-bas de nombreux souvenirs et chacun pourrait être une peinture.
Je suis très attaché à la nature car c'est en la regardant et en y passant du temps que j'apprends à voir.
J’ai d’ailleurs le sentiment que tes peintures ne cherchent pas à fixer une image d’un paysage en particulier, il y a quelque chose de très mouvant dans ton travail. La lumière semble parfois comme percer la surface. Quant à la couleur, elle semble se diffuser ou alors elle tend à disparaitre voire au contraire à émerger d'une surface qui recouvre certaines de tes peintures. Est-ce une façon de matérialiser ces sensations difficilement descriptibles et immatérielles ?
Oui, c'est surtout une manière d'épuiser le sujet de la peinture à son essentiel. Je me demande régulièrement pourquoi je peins et où est la peinture dans ce que je vois.
Il y a une volonté de peindre avec les moyens d'un peintre et de peindre la peinture avec la peinture.
J'utilise la couleur comme une lumière autour de laquelle je travaille la composition comme une grande respiration.
A travers ce souffle je me concentre sur ce dont je me souviens du sujet que je veux peindre. Evidemment, on ne se rappelle que de peu de choses. Je me concentre donc sur ces souvenirs, le reste est une grande lumière qui se dépose sur la toile comme un voile.
Lucas Talbotier, Balade en forêt, 2023 Huile sur toile 19,5 x 24 cm / © Louise Conesa
Si tes peintures sont des paysages, tu privilégies le format vertical plutôt qu’horizontal épousant en quelque sorte la verticalité de l’arbre qui est un motif qui semble central dans ton travail.
Il est vrai que la peinture de paysage est au coeur de mon travail mais je pense plutôt mes peintures comme des peintures.
Car j'aime l'idée de pouvoir tout peindre, je travaille par exemple en ce moment sur une série de nature morte.
Plutôt que le format verticale je cherche à peindre sur des faux carrés qui trompe l'oeil et installe la peinture dans un format autre que le paysage ou le portrait.
Oui l'arbre est un motif récurrent, surtout le tronc de l'arbre.
Tu travailles tout de même parfois sur le motif lors de promenade en forêt où tu réalises des aquarelles sur papier. Qu’est-ce qui te plait dans ce travail ? Ce travail sur le motif nourrit-il celui sur toile ou sont-ils pleinement indépendants l’un de l’autre ?
Oui, j'aime beaucoup peindre sur papier. L'aquarelle est assez récente, j'utilisais plutôt la gouache. C'est une manière de peindre que j'apprécie car je peux intégrer pleinement le papier dans la composition de la peinture. C'est comme si je peignais uniquement avec le papier et de l'eau et un peu de pigment. J'aime cette simplicité. C'est aussi une manière de peindre qui est complètement différente de la peinture à l'huile qui se construit à travers des couches et des effacements. Avec l'aquarelle, il y a l'exigence de poser les touches du premier coup sans détour et avec simplicité.
Peux-tu nous décrire ton processus artistique habituel ? Ou la manière dont tes séances de travail se passent ?
Le matin est consacré aux taches pratiques, monter les châssis et enduire. La manière d'enduire est déterminante et j'ai encore beaucoup à apprendre.
Je passe ensuite de nombreuses heures à regarder dans une forme d'ennui les peintures puis finalement en fin de journée, je peins.
Pour moi, l'essentiel est de peindre un peu tous les jours.
Quelles sont tes principales références et influences artistiques ?
Je regarde beaucoup le travail de Robert Ryman, Isle d'Hollander, Agnès Martin et Paul Cezanne.
Il y a certaines de mes peintures dont le point de départ est franchement leurs peintures.
Guston est aussi important, comme Philip Roth et Thomas Pynchon dont certains paragraphes à priori incohérents me restent en tête.
Lucas Talbotier, Hommage II, 2023 Huile sur toile 40 x 40 cm / © Louise Conesa
