Cette semaine notre regard plonge dans l’oeuvre de Léa Belooussovitch. 
Une artiste dont le travail s’empare d’images médiatiques qui envahissent notre quotidien: celles de faits divers, d’images tragiques ou touchantes. Léa sélectionne des événements où l’humain est vulnérable, central et photographié sur le vif. Elle cherche à questionner notre rapport avec la violence, souvent banalisé par les médias. Son processus de création est fondé sur la recherche et la documentation d’images, qu’elle déconstruit ensuite par une multitude de techniques picturales associées à des supports textiles inattendus. Feutre, velours marbré, satin duchesse autant de matériaux qui accueillent et donnent corps à l’image tout en la modifiant chacune à leur manière. Le sujet cru et violent de ces images s’efface au profit de silhouettes humaines qui frôlent l’abstraction. Un véritable jeu du visible et de l’invisible se crée dans notre regard. Tout au long de la semaine, Léa Belooussovitch nous décrypte ce processus artistique à travers une sélection de ses œuvres !
Pourriez-vous nous faire une petite présentation de vous ?
Je suis née à Paris en 1989. J’ai commencé des ateliers de dessin et peinture vers l’âge de 8 ans, et après mon bac, j’ai fait deux années de prépa artistique (Ecole Estienne et Atelier de Sevres), à l’issues desquelles j’ai réussi le concours de l’ecole de la Cambre à Bruxelles. J’y ai étudié dans l’option Dessin pendant 5 ans, et suis sortie avec mon master en 2014. En sortant de l’école, j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour plusieurs résidences annuelles d’artiste à Bruxelles : La fondation Moonens, la Fondation Carrefour des Arts, la MAAC. Cela m’a permis de développer mon travail et mon réseau d’une manière très professionnelle. J’ai exposé dans plusieurs lieux d’art en Belgique et en France, et je suis représentée à Paris par la Galerie Paris-Beijing depuis 2017.

Portrait de Léa Belooussovitch


Pourriez-vous nous parler de votre travail ? 

Je travaille sur la relation que nous entretenons avec les images, par le lien entre violence, humain et imagerie, à travers des questions ou faits sociétaux, des événements. Je travaille principalement avec le dessin, la photographie, la vidéo.
Dans mes dessins au crayons de couleur sur feutre, les images utilisées comme source sont des photographies où l’humain est capturé contre son gré, vulnérable, en situation de souffrance. Scènes de guerres, d’attaques, de sauvetages, d’embrassades … autant d’images où l’émotion est mise en avant dans les médias, pour documenter certains événements.

Série « Relatives », Gaza strip, 17 octobre 2018, dessin aux crayons de couleur sur feutre, 50 x 60 cm, 2019


La recherche d’images et la documentation semblent être un travail conséquent avant l’élaboration de vos œuvres. Comment procédez-vous à ce travail ? Le processus est-il toujours le même ?

Il y a cet attrait pour l’image qui serait allée « trop loin ». Trop loin dans le voyeurisme ou dans la cruauté… Mais aussi dans le rapport physique du photographe au photographié. Car les images que je choisis, dans l’actualité, respectent une certaine logique : il y a toujours une proximité avec le sujet. Ce sont des images de l’ordre du vulnérable, des images volées – les personnes sont photographiées sous la contrainte, elles n’ont pas choisi d’être photographiées. Ce sont des images de l’ordre de la douleur. Je choisis des images qui franchissent un seuil que je définis selon un certain nombre de critères et les transposer sur le feutre, c’est les transposer sur une matière sensible qui est organique, physique. Il s’agit de textile, donc quelque chose proche de nos corps. Et puis, dans le sens où ce sont des images de victimes, de personnes blessées, vulnérables, il y a cette idée de les transposer sur un support qui recevrait cette image de manière protectrice, qui envelopperait la nature de l’image. Enfin, il y a le processus de flou. Le flou est à la fois mental et en même temps il vient d’une technique : le crayon sur le feutre ne fait pas un trait précis et net comme sur du papier.
FACEPALM, « Myrtle Gorman », impression photographique sur satin duchesse, acier, 120 x 160 cm, 2017
FACEPALM, « Myrtle Gorman », impression photographique sur satin duchesse, acier, 120 x 160 cm, 2017
FACEPALM, "Tillie Klimek", impression photographique sur satin duchesse, acier; 120x160cm; 2017
FACEPALM, "Tillie Klimek", impression photographique sur satin duchesse, acier; 120x160cm; 2017
Le dessin sur textile (feutre, velours) prend une part importante dans vos oeuvres. D’où vient cette envie de travailler ce support, ce textile et qu’apporte-t-il à votre travail ? Comment le travaillez-vous ?

En effet je choisis souvent des matières textiles, en fibres non tissées principalement. Je récolte à l’atelier beaucoup de serpillières, des essuies, des tissus divers, des serviettes en coton, des échantillons de feutrine, des torchons, des lavettes très bas de gamme, que je trouve un peu partout. Il y a l’aspect «nettoyage » que je trouve intéressant, tout comme le fait que ce sont des textiles le plus souvent à usage unique, destinés à être salis puis jetés. J’aime en particulier les fibres non tissées car ce sont des fibres accumulées les unes avec les autres, qui s’agglomèrent, qui proviennent parfois d’un animal, parfois de restes d’autres tissus que l’on jette, et qui ont des propriétés d’absorption intéressantes. L’encre pénètre bien dedans, et quant au crayon de couleur sur le feutre, la réaction est immédiate et plastiquement fascinante. 
J’ai aussi travaillé avec du satin et du velours, qui sont choisis pour leurs aspect « noble ». À un niveau plus conceptuel, les tissus que j’utilise sont à envisager comme des récepteurs d’une image ou d’une donnée : ils les reçoivent et leur confère un caractère sensible, sensuel, que l’on a envie de toucher dans certains cas. Ils leurs donnent un « corps ». Il y a aussi cet aspect d’étouffement, d’enveloppement, dans les pièces qui parlent de victimes : les tissus leurs confèrent une sensibilité, un silence et une fragilité. Lorsque je choisis un papier, c’est le même fonctionnement, il doit avoir une raison de servir de support à telle ou telle idée, jusqu’au choix du format, du grammage, du grain, du blanc du papier. 

Série ‘’Relatives’’ Mexico City, Mexique, 3 mars 2019, dessin aux crayons de couleur sur feutre, 50 x 60 cm, 2019
Série ‘’Relatives’’ Mexico City, Mexique, 3 mars 2019, dessin aux crayons de couleur sur feutre, 50 x 60 cm, 2019
Perp Walk (Handkerchief), impression photo sur velours marbré,  142 x 173 cm, 2019, photo © Gilles Ribero
Perp Walk (Handkerchief), impression photo sur velours marbré, 142 x 173 cm, 2019, photo © Gilles Ribero
Donnez-nous 5 mots qui définissent votre travail.

Suspend, feutre, couleur, humain, dessin.

 Quelles sont vos inspirations ?

Je suis plutôt inspirée par des matières, des tissus, des papiers, les livres que je lis, des écrits ou essais sur le statut de l’image, les rapports à la violence, les sujets qui m’intéressent. Je suis inspirée par toutes les recherches que je fais dans les médias et l’actualité, les articles que je lis, ce que j’entends, ce qu’il se passe dans le monde. Je suis aussi bien sûr inspirée par des artistes et des expositions, parfois des films, des spectacles de danse.
Kaboul, Afghanistan, 27 janvier 2018, dessin aux crayons de couleurs sur feutre, 80 x 100 cm, 2019, photo © Jasmine Van Hevel
Kaboul, Afghanistan, 27 janvier 2018, dessin aux crayons de couleurs sur feutre, 80 x 100 cm, 2019, photo © Jasmine Van Hevel
"Manchester, Royaume-Uni, 22 mai 2017", Dessin aux crayons de couleurs sur feutre, 80x100cm, 2019_ Photo©Jasmine Van Hevel
"Manchester, Royaume-Uni, 22 mai 2017", Dessin aux crayons de couleurs sur feutre, 80x100cm, 2019_ Photo©Jasmine Van Hevel
 Qu’est-ce qui vous a poussé dans cette voie ? 

J’ai naturellement été vers des études artistiques, et je pense que ma formation à la Cambre à été très bonne. 

Malgré la situation, avez-vous des projets ?

C’est une situation difficile qui nous affecte tous, et pour les artistes c’est particulièrement dur, économiquement, artistiquement et moralement. Certains de mes projets ont été suspendus ou annulés, mais j’ai quand même la perspective de beaux projets plus éloignés dans le temps sur lesquels je continue de travailler.
Perp Walk (Handkerchief), impression photo sur velours marbré,  142 x 173 cm, 2019, photo © Gilles Ribero
Perp Walk (Handkerchief), impression photo sur velours marbré, 142 x 173 cm, 2019, photo © Gilles Ribero
Perp Walk (Handkerchief), impression photo sur velours marbré,  142 x 173 cm, 2019, photo © Gilles Ribero
Perp Walk (Handkerchief), impression photo sur velours marbré, 142 x 173 cm, 2019, photo © Gilles Ribero
L'ensemble des oeuvres de Léa Belooussovitch sont à retrouver sur son site : 
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