Une lumière insulaire, celle propre aux îles de l’Océan Indien dont l’artiste est originaire, se diffuse et colore l’ensemble des oeuvres de ce jeune talent, Julie Giblot Ducray , élève en quatrième année aux Beaux-Arts de Paris.
La couleur, chez l’artiste, est centrale. Elle est lumière et mouvement. Et la peintre compose avec elle un environnement sans limite. Dans un temps suspendu, nous entrons dans cet espace où l’exaltation de la couleur rencontre des figures plongées dans une plénitude. Entre rêve et réalité, l’oeuvre de Julie Giblot Ducray est une invitation à la contemplation.
A l’occasion de la sortie du livre « Lettres à l’Ashram » de Gandhi aux éditions Henri Piazza que Julie Giblot Ducray illustre spécialement et présente en exclusivité à la galerie Sabine Bayasli à partir du 16 juin prochain, l’artiste a accepté de répondre à mes questions.
Avec Julie nous sommes revenues sur son enfance, partagée entre l’île Maurice et l’île Rodrigues et sur sa venue récente en France pour ses études. Notre échange s’est porté sur sa façon d’appréhender son travail pictural, sur son rapport à la figuration et sur son approche de la couleur. Julie est également revenue sur ses principales influences créatrices.
C’est avec joie que je vous présente le travail de cette artiste particulièrement sensible et intuitive.
La couleur, chez l’artiste, est centrale. Elle est lumière et mouvement. Et la peintre compose avec elle un environnement sans limite. Dans un temps suspendu, nous entrons dans cet espace où l’exaltation de la couleur rencontre des figures plongées dans une plénitude. Entre rêve et réalité, l’oeuvre de Julie Giblot Ducray est une invitation à la contemplation.
A l’occasion de la sortie du livre « Lettres à l’Ashram » de Gandhi aux éditions Henri Piazza que Julie Giblot Ducray illustre spécialement et présente en exclusivité à la galerie Sabine Bayasli à partir du 16 juin prochain, l’artiste a accepté de répondre à mes questions.
Avec Julie nous sommes revenues sur son enfance, partagée entre l’île Maurice et l’île Rodrigues et sur sa venue récente en France pour ses études. Notre échange s’est porté sur sa façon d’appréhender son travail pictural, sur son rapport à la figuration et sur son approche de la couleur. Julie est également revenue sur ses principales influences créatrices.
C’est avec joie que je vous présente le travail de cette artiste particulièrement sensible et intuitive.
Peux-tu te présenter ?
Je viens de l’île de Maurice, République indépendante nichée au creux de l’Océan Indien. J’y ai passé la majorité de ma scolarité. Je dis « majorité » parce que mon père avait acheté à ma naissance quelques hectares en plein milieu de l’île Rodrigues et que nous l’avions rejoint ma mère, ma soeur et moi pour y vivre quelques années.
J’ai toujours aimé peindre et dessiner. Mon rêve, c’était de partir.
J’ai passé un baccalauréat littéraire dans un lycée français de Maurice. Le lycée, c’était le premier contact avec l’extérieur.
On nous formait avec l’espoir d’une fuite lointaine.
Rodrigues, c’était autre chose.
Pour comprendre, il faudrait tout éparpiller. Pour moi, il y a trois étapes importantes, trois phares qui s’étirent à l’horizon.
Il y a ces deux îles qui sont les faces mères d’une peinture qui me nourrit. Et puis, il y a le continent.
J’ai passé ma première année aux ateliers de Condé, en vue de la préparation des concours des Beaux-Arts de Paris. Je n’ai pratiquement passé aucun autre concours ; je voulais Paris et rien d’autre… C’est mon professeur, Julien Beneyton, bourru mais surtout grand empathique, qui a pris tout le stress à ma place ! Il me disait dérangée de ne pas assurer davantage d’issue de secours. En mai 2017, je suis admise. C’est mon père qui l’air de rien farfouille sur internet pour obtenir les résultats. Il était venu passer l’été avec moi. Pas très discret, il avait allumé son portable pour la énième fois de la journée, toujours dans une sorte de contorsion bizarre du corps de manière à ce que je ne vois pas son écran. Enfin, j’avais compris, et en voyant mon nom dans les listes d’admission, il s’était mis à pleurer à chaudes larmes !
Aujourd’hui, je suis en quatrième année des Beaux-Arts, chez François Boisrond. Depuis la crise sanitaire, je suis hébergée dans le sud-ouest chez mon compagnon peintre, Paul Iratzoquy, avec qui je partage ma passion. Nous vivons dans une bulle un peu délaissée par le temps, proches des montagnes et de la nature ; dans une nouvelle forme d’insularité.
" La couleur est un élément qui m’aide à penser la composition du tableau. Grâce à la couleur, je m’inscris dans une expression de la sensation. "
Julie Giblot Ducray
Tu réalises un travail figuratif dans lequel tu exaltes la couleur par des fonds abstraits, faits de touches diffuses qui semblent infinies et s’étendre sur des espaces hors champs.
J’ai remarqué que tes figures, placées verticalement ou horizontalement, sont étendues de tout leur long. Cette élongation de la figure contraste particulièrement avec tes fonds qui se font libres et diffus. Peux-tu me parler de cette recherche visuelle?
Il y a un côté ludique dans ma peinture.
Très souvent, je place les personnages et j’ai comme une idée mentale du type de lumière ou de couleurs que je souhaite avoir.
Une fois la composition posée, c’est-à-dire la posture des corps, je me laisse très souvent faire, guidée par l’intuition de certaines couleurs ou de motifs qui se marient. Je n’ai pas d’autres mots que celui de « ludique ».. Je casse et je reprends, je joue avec des choses qui apparaissent un peu d’elles-mêmes sur l’espace de la toile. J’aime l’observer et laisser faire ce qui s’y trouve.
J’utilise très peu de photographies.
Ta façon de représenter tes personnage sur des aplats de couleurs me rappelle beaucoup le travail de Paul Gauguin. Je pense notamment à son oeuvre "Mahana no atua (1894, Chicago, the Art Institute) ou encore à celle intitulée "Ahaoe feii ? (1892 Moscou, musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine.) Mais à la différence du traitement des fonds de Paul Gauguin, tes couleurs ne sont pas cernées et délimitées par un sillon noir. Les tiennes, au contraire, semblent libres et diffuses et tu bouscules ainsi encore plus la perte de repères spatio-temporels. Le travail de Paul Gauguin est-il une de tes influences dans ta recherche picturale?
J’ai commencé à peindre ces sujets et de cette manière que très récemment. Le confinement de mars 2020 a été pour moi un moment de grande introspection qui m’a permis d’essayer de nouvelles choses sans la pression d’un atelier en collectif.
On m’a beaucoup rapprochée de Gauguin, mais ce n’était pas une référence que j’ai beaucoup regardée. D’ailleurs, je n’en ai jamais vu en vrai. À l’époque, je regardais beaucoup Klimt, j’aime la manière dont il cloisonne ses couleurs. Je pense surtout à la « Frise Beethoven ». Les personnages peuvent exister dans un flottement un peu incohérent mais stable de couleurs.
J’ai toujours eu du mal à situer un personnage dans un lieu environnant. Je ne sais pas, ça ne m’intéressait pas. C’est peut-être pour ça que j’ai plutôt regardé Klimt que Gauguin ; il y a cette sensation du monde physique épuré qui laisse place à l’univers serein du sensible.
Gauguin et moi nous rapprochons grâce à l’île. La palette de couleurs est similaire, j’adore ce que faisait Gauguin. Mais la narration insulaire n’est pas la même pour moi ; il n’y a pas la même intention. Je pense que cela tient de l’origine. Gauguin ne venait pas d’une île, il avait alors la richesse du regard extérieur, de celui qui fantasme. Il peut avoir une narration plus ouverte.
Je pense que la distance est importante. J’ai besoin d’oublier l’île. J’ai besoin de tracer un contour, et de laisser le libre-cours aux silhouettes vidées de leur contexte.
Je pense que l’évocation d’une « perte de repères-spatio-temporels » est bien trouvée; pour moi, l’univers que je trace n’est pas vraiment défini.
S’il devrait exister un horizon dans ma peinture, il ne serait pas vaste. Il serait confiné; comme une crique.
D’ailleurs, dans certaines de tes compositions, ces figures tendent à disparaitre dans la matière quand d’autres en émergent. Tu établis un dialogue possible et étroit entre fond abstrait et figuration. Que te plait-il dans ce rapport des formes et de la matière?
Je m’inspire beaucoup d’éléments environnants.En général, j’essaie de ne pas décrire un objet de manière précise. Je m’amuse plutôt à utiliser l’impression de sa forme au moment où il m’a interpellée et puis à l’incarner. Ce sont des objets du quotidien que je viens inscrire comme un repère que moi seule peux comprendre.
Au moment des « Clémentines », j’allais chaque matin courir au jardin du Luxembourg. Le nez en l’air, je regardais les arbres se décharner de leurs feuillages. Et puis, je me rendais aux Beaux-Arts, et j’engloutissais une poche entière de clémentines de saison ; « les Clémentines », c’est comme une petite note à moi-même à consulter pour plus tard.
Aussi, il y avait le motif de la fenêtre, il revient dans certaines toiles du confinement. C’est un motif qui se dissout sous la matière d’un autre aplat, celui d’un mur qui l’encadre, ou d’une ombre de feuillage. (« Après-midi au patio II» ex)
Le corps reste un élément figuratif insistant.
J’aime le fait que le corps puisse évoquer l’endroit. Le corps a un langage, on le décrypte de manière intuitive. La disparition partielle des figures m’évoque la fine transition entre rêve et réalité. C’est comme une ode un peu mélancolique.
Tes figures sont toujours endormies et semblent sereines et apaisées. Et de ces figures semblent émaner et donner vie à une multitude de couleurs. Cette iconographie est-elle un moyen pour toi de matérialiser les songes et de t’extraire du réel?
La couleur est un élément qui m’aide à penser la composition du tableau. Grâce à la couleur, je m’inscris dans une expression de la sensation.
Lorsqu’il pleut, j’ai l’impression que les couleurs sont plus « fluorescentes ». Il faudrait que je trouve un autre mot, pour moi les couleurs « luisent » différemment en temps de pluie. Alors que lorsqu’il fait beau, les couleurs se « propagent » plus volontairement dans l’espace. Par exemple, « Les clémentines poussent en automne » est un tableau que j’ai réalisé à mon retour sur Paris en septembre 2020, après le diplôme de troisième année. J’ai beaucoup utilisé de rose, de mauve, de bleu pour placer les choses… Pour moi, ce sont des couleurs qui existent dans un « dedans », je les associe à quelque chose de plus morose. Alors que le jaune ou le orange sont des couleurs plus extraverties, elles interpellent avec plus d’audace.
On ne le remarque peut-être pas en regardant le tableau. Pour moi, c’est le mauve qui y prime.
Souvent tu réalises des doubles portraits. Ces personnages semblent fonctionner par pair. Il y a un véritable écho et dialogue qui s’opère entre eux. Peux-tu me dire quelques mots sur cette iconographie ?
Très souvent, les personnages sont têtes-bêches. Cela fait partie de l’aspect « ludique » que je vois dans mes tableaux. Grâce à ce type de composition, je m’amuse dans le tableau, j’ai envie de jouer avec les formes et couleurs.
C’est vrai qu’il y a très souvent un duo. Je pense que c’est pour garder une interaction que je place deux figures, elles ne sont pas seules face à elles-mêmes.
Certaines oeuvres se rapprochent par la palette de couleurs que tu emploies. Travailles-tu en série ou as-tu des associations de couleurs qui te plaisent et que tu aimes réemployer? Peux-tu nous dire quelques mots sur ton processus créatif?
Cela m’arrive de travailler en série. En effet, je travaille avec des associations de couleurs qui me plaisent, que je réutilise et développe au fur et à mesure que je produis de nouvelles toiles.
Souvent, je pose les couleurs de manière très gestuelle, comme une chose orageuse prête à vous péter à la figure. Et puis, c’est un caractère plus doux de moi, une chose plus rationnelle qui vient équilibrer le désordre chromatique de la toile.
Plusieurs de tes toiles sont baignées par une lumière très vive dont les rayons viennent gommer les corps ou les traits des visages de tes portraits. Que te permet d’atteindre cette lumière très solaire dans ton travail pictural?
Quand j’étais petite, je dessinais beaucoup de portraits, et j’allais chercher des images fortes en clair-obscur pour alors les reproduire sur papier. Maintenant la lumière prend un enjeu différent. Je ne réfléchis plus vraiment par le trait, qui vient simplement poser un élément de composition avant le processus pictural. À présent c’est la couleur qui fait exister la lumière.
Le côté « solaire » passe toujours par les corps, qui sont très souvent peints avec des couleurs chaudes, comme s’ils avaient été baignés de soleil. Je pense que je cherche à décrire un état de quiétude retrouvée.
La lumière radiante, ce serait cet état cognitif de pleine sérénité.
J’ai évoqué plus haut une comparaison au travail de Paul Gauguin mais aurais-tu des références artistiques que tu aimerais évoquer?
Les peintures de Garouste m’intéressent. Ce que j’aime énormément, c’est cet aspect narratif qui revient. Où les pistes de l’histoire personnelle et des grandes lignes religieuses se brouillent entre elles pour créer cet univers sensible et tentaculaire. La première toile que j’ai découverte de Garouste, c’est L’autre et le toréador, à la FIAC 2019.
Aussi, il y a Noah Davis, ou encore Andreas Ericksson, Georg Baselitz, Peter Doig…
Une phrase de Gérard Garouste, dans laquelle j’ai trouvé écho ; « en ce temps qui brûlait d’être à demain, j’aimais les odeurs du passé ».
Je reste très admirative de la peinture de Aristide Maillol, Pierre Bonnard, Henri de Toulouse-Lautrec, de Maurice Denis.
Côté livre : Fabienne Verdier, La Passagère du Silence.
Pour suivre toute l'actualité de l'artiste rendez-vous sur sa page instagram: