Garance Matton fait de son espace de création un véritable espace de jeu. L’artiste, en s’affranchissant de toutes contraintes réalistes, perspectives et unité de temps, exalte la deux dimensions de ses toiles. Ses créations ne sont regies que par ses propres règles du jeu et ouvrent sur un tout nouvel espace, à la temporalité inédite et autonome. La sienne. S’y côtoient alors joyeusement des éléments et références à priori disparates. Car, Garance Matton manipule à merveille l’art d’emprunter et de détourner des éléments de leurs contextes. Installés dorénavant dans ses compositions, ils acquièrent une nouvelle vie et même une nouvelle fonction. À l’image de cette œuvre intitulée « Kat » dont les yeux de cette femme sont recouverts de pompons et semble tenir une amphore. Des objets que l’artiste a admiré dans l’œuvre de son amie artiste, Leticia Martínez Pérez, et qu’elle a choisi d’intégrer à sa composition et de leur donner une toute nouvelle fonction. Cette jeune artiste, fascinée par grands nombres de talents, n’hésite pas à citer quelque uns de leurs motifs, et ce toujours joyeusement, dans ses créations. Alors il ne sera pas rare de rencontrer dans un même espace des références à la peinture des primitifs italiens, à l’histoire de l’art moderne, de Matisse en passant par Hockney ou encore de son entourage proche fait de ses talentueu.ses.x ami.e.s artistes. Passé, présent évoluent en parallèle et l’artiste y mêle sa propre temporalité, celle qui nous ramène et rappelle à son acte de peindre à l’atelier. Un belle façon de trahir et de désacraliser le geste artistique. Vous y verrez de petites palettes de couleurs qui se forment, des réserves de dessin ou encore des références à l’acte de peindre ou à l’espace de son atelier. Alors même si chaque tableau acquière une temporalité et une narration originale, on a plaisir à retrouver dans chacun de ses tableaux ce que j’appellerais ses fidèles compagnons comme le motif du chat, la couleur bleue ou encore le motif du damier.

L'artiste Garance Matton à son atelier à Poush Manifesto.


Pourrais-tu te présenter?
J’ai étudié aux Beaux-Arts de Paris dont je suis sortie en 2017. Quand je suis rentrée aux Beaux-Arts je faisais de la photo, des installations, du dessin, de la vidéo... tout sauf de la peinture. C’est seulement en deuxième année que j’ai commencé à peindre, stimulée par mes ami·e·s peintres qui me montraient tout ce qu’il était encore possible de faire aujourd’hui avec ce medium, car à ce moment la peinture était perçue comme quasi anachronique. Nous avons visité l’exposition David Hockney à Bilbao qui a été un véritable choc : c’était le moment où il peignait ces immenses paysages de la campagne anglaise. Sa manière de revisiter ce sujet m’a bluffée et m’a fait comprendre que la peinture avait toute sa place dans l’art de notre époque, tout ça était innovant et excitant!


" Je commence à peindre en laissant des zones en réserve. J’avance à tâtons, j’ajoute et j’enlève des éléments et de nouveaux liens se tissent. J’aime prendre mon temps et voir la peinture se former petit à petit comme une sorte de puzzle. "

Garance Matton
Mazzocchio bleu, 2018-2019, Huile et acrylique en spray sur toile, 41 x 33 cm
Mazzocchio bleu, 2018-2019, Huile et acrylique en spray sur toile, 41 x 33 cm
Je remarque dans tes créations beaucoup de références à la Renaissance italienne et notamment par l’utilisation du motif de la maison comme possibilité de traduire un espace pictural. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce motif pour tes compositions? Et qu’est-ce qui te plait dans ce courant artistique pour ta pratique?

La peinture des primitifs italiens me passionne : Piero Della Francesca, Fra Angelico, Giotto, les Lorenzetti, Sassetta, Masolino... Je regarde ces peintres en permanence et en particulier leurs Annonciations. Il y a une grâce qui se dégage de ces fresques et peintures, la douceur des visages, la puissance et l’harmonie des couleurs et la relation qu’entretiennent les figures avec l’architecture et les paysages. Les bâtiments, les maisons sont à peine plus grands que les personnages, comme des petites cabanes, des espaces qui simulent autre chose.

Si tu intègres des références plus anciennes dans ton travail, tes personnages semblent bien actuels. Qui sont-ils ?

Je peins les gens qui m’entourent, des ami·e·s qui sont souvent artistes.
 Kat, 2020, huile sur toile, 46 x 38cm
Kat, 2020, huile sur toile, 46 x 38cm

Il y a une dimension très solaire dans tes oeuvres, elles sont lumineuses et les couleurs se font éclatantes. Je pense notamment à tes oeuvres comme «Kat», « Sun, wind, Diego »  ou encore « La Grande Espagnole ». Le bleu est d’ailleurs une couleur très récurrente dans ton travail. Peux-tu nous parler un peu de cette recherche?

Souvent quand je peins, je me remémore l’été, j’ai envie de transmettre une sensation de chaleur, un moment serein, quelque chose de doux et enveloppant. C’est particulièrement le cas pour les peintures que je commence à l’automne comme pour La Grande Espagnole ou Soleil, Vent, Diego où je suis encore baignée de toutes ces sensations. J’aime aussi quand les ombres sont marquées, qu’elles se découpent sur le sol, que leurs formes deviennent finalement plus tangibles que les surfaces des matériaux sur lesquelles on peut les voir.

Tu as d’ailleurs repris le thème des baigneuses. Peux-tu nous dire quelques mots sur cette oeuvre et ton interprétation ?

J’ai fait venir deux modèles (et artistes) Jehane Mahmoud et Cécilia Granara à l’atelier avec l’intention de les faire poser en maillot de bain : j’avais envie de peindre de la chair, des jambes et des bras nus et de faire interagir ces corps dans des postures sculpturales mais joyeuses et épanouies. Elles ont essayé de nombreuses poses mais celle qui s’est imposée était la reprise quasi parfaite de la peinture de Picasso. Ce qui m’intéressait particulièrement c’était les positions des mains : deux sont entrelacées et deux se découpent dans leur forme la plus simple sur une surface bleue. J’ai choisi de les déplacer dans un espace intérieur mi-atelier, mi-théâtre comme pour révéler la mise en scène et aussi parce que l’espace de l’atelier m’intéresse. C’est l’endroit où je passe le plus de temps. On y voit des choses qui sont banales pour les artistes comme par exemple les traces de peintures dans le miroir mais elles peuvent prendre une autre dimension pour celui ou celle qui n’est pas habitué·e à ces espaces. J’aime figurer le processus de création, le lieu où il arrive et les traces qu’il laisse. Cela m’intéresse aussi beaucoup au cinéma dans des films comme La Nuit Américaine, Singin’ in the rain, Inland Empire...

J’ai remarqué que dans plusieurs de tes créations tu joues avec l’échelle. Tes personnages deviennent immenses par rapport au décor. Que recherches-tu à traduire avec ce parti-pris?

La question de la représentation de l’espace tient une place importante dans mon travail. La perspective linéaire (celle de la peinture classique ou de la photographie) qui se caractérise par un point de fuite unique ne reflète pas notre perception émotionnelle du monde. C’est pourquoi j’adopte parfois une perspective hiérarchique et certains personnages ou bâtiments voient leur taille agrandie ou réduite. Ce procédé me permet aussi de brouiller les pistes, de questionner la matérialité des choses qui sont peintes, de créer une rupture dans l’illusion de la profondeur pour revenir aux couleurs déposées à la surface de la toile.
 La Vie Mode d’Emploi, 2018, Huile et acrylique en spray sur toile, 200 x 200 cm
La Vie Mode d’Emploi, 2018, Huile et acrylique en spray sur toile, 200 x 200 cm

J’observe des récurrences dans ton travail comme le motif du chat, les oiseaux, la couleur bleue.. Ces motifs ont-ils une symbolique particulière pour toi ?

L’année dernière je vivais dans un jardin et j’étais entourée de pies et de chats, je m‘y suis naturellement intéressée. Je trouve que les animaux sont des sujets fascinants, ils apportent une présence, un mouvement aux tableaux mais il y a quelque chose de plus ténu qu’avec les figures humaines.
Plus généralement, je peins des choses que j’aime et j’essaie de trouver la manière dont j’aime les peindre.

Dans tes compositions des objets sans lien apparents se juxtaposent et se côtoient à l’image de collages, comme dans ta toile "Conversation secrète". Comment choisis-tu ces objets?

Je ne choisis pas ces objets selon un processus rationnel. Il s’agit plutôt d’intuitions d’un jeu de formes, de signes, de couleurs.
Conversation Secrète, 2019,Huile sur toile 100 x 90 cm
Conversation Secrète, 2019,Huile sur toile 100 x 90 cm
Peux-tu nous décrire les étapes de ton processus créatif ? (Du choix de tes sujet à leurs réalisations)

Un tableau naît généralement du désir de réunir certaines choses entre elles: un personnage et un objet, un objet dans un espace ou deux formes par exemple. Je trace sur la toile ce début de composition que j’ai préalablement construit grâce à un photomontage fait à partir de dessins, de photos et d’images trouvées sur internet. Je commence à peindre en laissant des zones en réserve. J’avance à tâtons, j’ajoute et j’enlève des éléments et de nouveaux liens se tissent. J’aime prendre mon temps et voir la peinture se former petit à petit comme une sorte de puzzle.

 Quand pourrons-nous à nouveau admirer tes toiles?

Mes dernières peintures sont visibles à Tajan jusqu’au 19 mai, dans une exposition intitulée «The Studio» en duo avec Pierre Bellot, d’autres plus anciennes sont présentées à la 193gallery jusqu’à la fin du mois. J’ai aussi des projets d’exposition pour l’été en dehors de Paris. En septembre, je présenterai des toiles à l’occasion d’Art Paris avec la galerie Hors-Cadre ainsi qu’à Poush Manifesto dans le cadre du parcours VIP.
Baigneuses, 2019, Huile et acrylique en spray sur toile, 210×260 cm
Baigneuses, 2019, Huile et acrylique en spray sur toile, 210×260 cm
 La Grande Espagnole, 2019-2020,  Huile et acrylique en spray sur toile 200 x 270 cm
La Grande Espagnole, 2019-2020, Huile et acrylique en spray sur toile 200 x 270 cm
 Yerma dans le désert, 2020, Huile sur toile 130 x 160 cm
Yerma dans le désert, 2020, Huile sur toile 130 x 160 cm
Le jardin aux sentiers qui bifurquent, 2019-2020, Huile et acrylique en spray sur toile 150 x 150 cm
Le jardin aux sentiers qui bifurquent, 2019-2020, Huile et acrylique en spray sur toile 150 x 150 cm
Deux Maisons, 2020, Huile et acrylique en spray sur toile, 130 x 160 cm
Deux Maisons, 2020, Huile et acrylique en spray sur toile, 130 x 160 cm
 Les choses qui sont cachées derrière les choses, 2018, 162 × 130 cm, Huile et acrylique en spray sur toile
Les choses qui sont cachées derrière les choses, 2018, 162 × 130 cm, Huile et acrylique en spray sur toile

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