Cette semaine, je suis ravie de vous partager mon entretien avec un artiste au regard particulièrement attentif: Axel Roy. 

Admirable dessinateur, l’artiste prolonge ce qu’il expérimente au gré de ses déambulations urbaines et enregistre avec son appareil photo. Car, si Axel Roy réalise dans un second temps un travail particulièrement réaliste et fidèle à ce que son appareil a pu enregistrer, il se libère néanmoins du poids narratif. À l’image d’un collage, l’artiste prélève ce qui l’intéresse de ces enregistrements et affranchit ces motifs de leurs contextes d’origine. Les réserves de dessins prennent un rôle actif dans ses créations et accueillent ces portraits d’anonymes. Dans un dépouillement affirmé, générant de lumineux contrastes, tels que le feraient des photographies en noir et blanc, les dessins et peintures d’Axel Roy laissent la narration ouverte et en suspens. Alors si ces scènes recréent plastiquement les propriétés purement photographiques (le noir et blanc, l’impression de photographies colorées, les cadrages, le grand angle.. ) et troublent l’interprétation, l’artiste cherche assurément à nouer un dialogue actif avec ses spectateurs. De ces scènes éphémères dont Axel Roy s’est fait témoin à un moment donné et immortalisées par l’outil photographique, elles se voient renaître par la narration que chacun décidera d’inventer.

Portrait d'Axel Roy 

La montgolfière, exposition par bycollectors

 © photographique Antoine Ott

Peux-tu te présenter ? (Courte bio, parcours…)

Je suis diplômé des Beaux-Arts de Dijon et j’ai ensuite effectué un post-diplôme en Chine avec Paul Devautour. Aujourd’hui je vis et travail en Hollande à Utrecht.

" Les allers-retours entre photographies, dessins et peintures sont constants, je travaille plusieurs formats simultanément donc cela explique aussi les ressemblances plastiques. "
Axel Roy
Waiting Line, 2016,  huile et acrylique sur toile, 190 x 327 cm
Waiting Line, 2016, huile et acrylique sur toile, 190 x 327 cm
Tu travailles le dessin et la peinture. A travers ces deux techniques artistiques tu sembles comme extraire des personnages de leur contexte et les intégrer dans un nouvel espace: dépouillé et sans repères spatio-temporels. Pourquoi ce choix ? 

Pour moi il s’agit d’une volonté d’inclusion, j’invoque souvent le livre de Jacques Rancière : « Le partage du sensible ». Dans le sens, où j’essaye de questionner les mécanismes d’inclusion et d’exclusion de l’expérience sensible de la vie. Mes dessins, ou mes peintures sont d’abord des inconnus, (je ne dessine pas les personnes que je connais) ensuite l’espace blanc (donc vide dans notre acceptation socio-culturel) vise l’inclusion du spectateur dans l’historicisation du travail. Au sens que l’espace se laisse inventer au travers de ce que projetteront les spectateurs et ce qu’illustrent les personnages représentés ; un comportement, un vivre ensemble.
Selon moi, l’Art relève d’un processus d’apprentissage de l’artiste. Dans ma recherche je veux éviter que le travail exposé tende à être perçu comme fini, or en incluant le spectateur dans la relecture d’un contexte absent, mon apprentissage (et ce que je partage) peut continuer à chaque exposition et n’est plus un apprentissage reclus de l’artiste en son atelier mais un l’apprentissage d’un commun.

Si tes personnages sont réalisés de manière très réalistes, tu laisses une grande part aux espaces vides. Cela donne une impression de collage. Je pense notamment à celles que tu as réalisées qui représentent des scènes dans un bus ou un avion. Peux-tu nous dire quelques mots sur ton travail compositionnel ? Et nous décrire ton processus créatif habituel? 

L’impression de collage vient du fait que je suis très exigeant pour le spectateur, je demande au spectateur une forte générosité dans l’attention et la temporalité face au travail. La consommation des images induit que nous ne prenons plus de temps pour voir les images, pour les comprendre. Pour moi les images sont des « images-temps », car elles induisent une charge d’information (cadrage, contexte, intention, temps d’exposition, technique…) Perdre de vue ce prélat, c’est induire une charge de réel aux images, or une image fictionne toujours les ‘réalités’. Cette impression de collage, ou cet hyperréalisme est pour rappeler la fonctionnalité des images, pour donner du temps.
Concernant la composition, je travaille en premier avec la photographie; un dessin ou une peinture est d’abord une photo via une intention qui me permet de m’écarter d’un sujet ou de m’en rapprocher. Parfois l’intention est claire, trop clair, et il faut retravailler l’image (ou le processus de création des images) pour que celle-ci puissent s’obscurcir. Le blanc en dessin est une réserve et il est parfois plus intéressant de la sauvegarder. Une règle que je m’impose est de favoriser les découpent, les personnages qui sortent du cadre, je pense que cela permet de prolonger la réserve au mur.
In the Air, graphite sur papier, 40x40 cm, 2019
In the Air, graphite sur papier, 40x40 cm, 2019

D’ailleurs, tes compositions me rappellent celles de photographies : compositions tronquées, personnages saisis sur le vif.. Est-ce que le médium photographique intervient dans ton processus créatif ?

Aah
Pour aller un peu plus loin, je suis (pour l’instant) toujours l’auteur des photographies que je travaille en dessin ou en peintures. Pour cela, j’arpente régulièrement des espaces urbains et j’essaye de sortir de mes réflexes en invoquant le hasard, par exemple, ou en changeant de méthodes, ce qui va me permettre de réaliser des images que je n’attendais pas, en retravaillant ces images au dessin cela peut donner une bonne composition, même si j’évite le plus possible les images trop littérales car je pense que cela pourrait desservir ma première intention : une image trop évidente est vite consommée et n’a qu’une lecture.

Tu réalises tes travaux sur des surfaces de grandes dimensions, voire immenses. Tel un grand angle, tes compositions intègrent souvent une foule de personnages, dans des scènes urbaines. Peux-tu nous dire quelques mots sur ce format et ton choix de motif? Et qu’est-ce que ce format apporte à ton travail?

Les grands formats permettent d’inclure plus facilement, ils facilitent le ressenti et l’inclusion, on peut facilement s’oublier et se perdre dans un grand format. Comme lorsque nous sommes au milieu d’une foule il est impossible de saisir les innombrables détails qui composent le paysage humain.
Pour les peintures c’est souvent pour être au-delà de l’échelle 1, je pense que pour les peintures cela invite a une forme d’intimité, car la peinture est très tactile.

Dans ton travail pictural, même si tu y explores également des compositions qui embrassent un certain nombre de personnages, tu as également développé une série dans laquelle tu isoles une figure (série Sans titre) et recentres la composition sur une action précise. Peux-tu nous en parler ? 

Pour expliquer cette série il me faut expliquer le processus créatif. L’intention de départ était de ne pas être dans le choix, d’éviter la question qui se pose à tous les peintres ; que peindre ? J’ai donc eu recours à un processus systémique, photographier toutes les personnes qui passeront devant mon appareil avec un cadrage fixe sur trépied et ce jusqu’à 100 photos.
Ce pas de côté m’a permis de me soustraire à la question du choix, pour juste peindre. Le processus permet également de peindre des personnes qui n’ont pas conscience d’être sujet. Je peins les fragments prélevés d’un éternel va et vient humain, un échantillonnage qui a un titre aussi simple que le processus (même s’il change beaucoup, je n’aime pas le fini), par exemple : Extrait de Sans Titre, 057, rue Nanshan à Hangzhou 09:26 20/10/12. La 57ème personne, le nom de la rue, l’heure et la date.
 Extrait 19 - 2014 - huile et acrylique sur toile - 225 x 200 cm
Extrait 19 - 2014 - huile et acrylique sur toile - 225 x 200 cm

Dans tes peintures, tes personnages revêtent des couleurs vives. Plastiquement, nous avons la sensation que tu es venu colorer tes personnages précédemment en noir et blanc, comme si tu venais donner de la couler à une photographie en noir et blanc. Peux-tu nous en parler ? 

En fait je n’ai jamais vraiment appris à peindre donc je peins comme je dessine, souvent avec des noirs colorés ou des couleurs pures, j’utilise rarement le blanc en peinture (sauf pour le fond). Peut-être que ce sentiment provient de ce premier point. Ensuite, les allers-retours entre photographies, dessins et peintures sont constants, je travaille plusieurs formats simultanément donc cela explique aussi les ressemblances plastiques.

Quelles sont tes principales influences artistiques? 

Je vais prendre artistique au sens large, parce que j’essaie de me nourrir dans tous les champs,
En danse, Steve Paxton, Jérome Bel
En dessin, Julie mehretu, kirill chelushkin.
En Bande dessinés, Mathieu Bablet, François Schuiten et Benoît Peeters
En film, zbigniew rybczynski,
J’ai découvert plus récemment le travail de Siah Armajani qui me parle beaucoup même si c’est très loin de ce que je fais formellement, ça m’a fait penser au travail de Jérôme Grivel.

Tu exposais dernièrement avec la H Gallery à DDessin, quand pourrons-nous à nouveau admirer ton travail et notamment tes peintures? 

Mes peintures sont exposées en ce moment même au palais d’Amsterdam de l’exposition des finalistes du prix : Konikelijke Prijs vor Schilderkunst (Prix Royale de Peinture), elles y seront jusqu’au 3 octobre.
Sinon, nous organisons le 3 et 4 octobre une exposition dans nos ateliers à Utrecht : AtelierRoute. L’occasion de visiter les Pays-Bas !
Pour plus d’informations les liens ;
Peak, Huile et acrylique sur toile 200 x 340 cm diptyque 2020
Peak, Huile et acrylique sur toile 200 x 340 cm diptyque 2020
Before the show (part2) - 2018 - graphite sur papier - 55x77 cm
Before the show (part2) - 2018 - graphite sur papier - 55x77 cm
Extrait 03 - 2014 - huile et acrylique sur toile - 225 x 260 cm
Extrait 03 - 2014 - huile et acrylique sur toile - 225 x 260 cm
Topoï, N 43°21’41.1 | E 88°13’56.1’’, graphite sur papier, 29,7 x 42 cm, 2015
Topoï, N 43°21’41.1 | E 88°13’56.1’’, graphite sur papier, 29,7 x 42 cm, 2015
Extrait de sans titre (01 22520000), 2013, Huile et acrylique sur toile, 225 x 200 cm
Extrait de sans titre (01 22520000), 2013, Huile et acrylique sur toile, 225 x 200 cm
1353 feet high, graphite sur papier, 75x110 cm, 2019
1353 feet high, graphite sur papier, 75x110 cm, 2019
Extrait de Sans Titre (07 17002000), Huile et acrylique sur toile 170 x 200 cm, 2017
Extrait de Sans Titre (07 17002000), Huile et acrylique sur toile 170 x 200 cm, 2017
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