« J’ai toujours été fascinée par les icônes. La visite des églises – hors du cadre très privilégié du musée ou de la galerie, m’ont permis d’appréhender enfant ce qu’est l’Art. Ce sont mes premiers émois esthétiques, mes premières interrogations plastiques. » revient l’artiste française, Amélie Bigard, nouvelle invitée sur Dans les yeux d'Elsa 

L’artiste s’est alors naturellement tournée vers l’apprentissage de sa technique et a suivi une formation de peintre d’icônes à l’Église de la Dormition, à Marseille. Un art très minutieux, ritualisé et long qu’Amélie Bigard en perpétue sa tradition à travers ses œuvres. Néanmoins, si la peintre en maîtrise le savoir-faire et a intégré son iconographie, elle a très vite cherché à inventer la sienne, caractérisée par un vocabulaire laïque. 
Sur ses petits panneaux de bois, Amélie Bigard fait la place belle à des personnages très jeunes, qui sont entre l’âge adulte et l’enfance. Ils évoluent dans des espaces qui sont eux même caractérisés par un état transitoire: succédant une scène qu’on imagine souvent tumultueuse, les compositions chez Amélie Bigard donnent la sensation d’être témoin de ce qui s’est passé et présagent l’après. De plus, l’artiste, à la différence des icônes religieuses qui sont marquées par une échelle mettant consciemment les personnages saints au premier plan, occupant ainsi largement la surface picturale, celle que la jeune artiste emploie met à égalité personnages et objets. Par ce parti-pris de représentations, les protagonistes, particulièrement graciles et élancés, se plient à un univers immense et infini, un espace finalement méditatif et contemplatif. 

Amélie Bigard est née en 1997, après ses 4 années passées au Beaux-Arts de Marseille et sa formation, qu’elle a suivi en parallèle, de peintre d’icônes, l’artiste a passé une année à Berlin en tant qu’assistante de la peintre Helen Verhoeven. Elle a ensuite poursuit ses études à l’École des Beaux-Arts de Paris-Cergy dont elle est sortie diplômée en 2021. 

L'artiste Amélie Bigard 

Photo par Le Consulat 

Pouvez-vous vous présenter ? 

Je m’appelle Amélie Bigard et je suis principalement peintre, mais je fais également de la vidéo et m’intéresse en ce moment à l’installation.
J’ai passé quatre ans à l’École des Beaux-Arts de Marseille, tout en suivant parallèlement une formation de peintre d’icônes à l’Église de la Dormition. J’ai ensuite passé une année à Berlin en tant qu’assistante de la peintre Helen Verhoeven, avant de poursuivre à l’École des Beaux-Arts de Paris-Cergy où j’ai obtenu mon diplôme en 2021.

" Je n’ai pas envie de dépeindre une fresque du présent, avec des symboles distincts et des personnes enfermées dans un milieu social. Ce que je cherche c’est quelque chose de plus intemporel, de plus intérieur.  "

Amélie Bigard
 Enterrement, 2020, tempera et feuille d'or sur bois entoilé 28 x 34,5 x 2 cm
Enterrement, 2020, tempera et feuille d'or sur bois entoilé 28 x 34,5 x 2 cm
Vous réalisez des peintures de petites dimensions à la manière des icônes. Mais vous y représentez des scènes profanes et contemporaines. Pour autant, vos personnages sont souvent dans des attitudes tournées vers eux-même;  la présence du motif de la  croix et de sculptures liturgiques apparaissent souvent dans vos compostions et sont relayées à l’arrière plan. Qu’est-ce qui vous intéresse dans la technique de l’icône et que souhaitez-vous mettre en avant dans vos compositions ?

J’ai toujours été fascinée par les icônes. La visite des églises - hors du cadre très privilégié du musée ou de la galerie, m’ont permis d’appréhender enfant ce qu’est l’Art. Ce sont mes premiers émois esthétiques, mes premières interrogations plastiques. C’est pour ça notamment que j’ai voulu apprendre les techniques de la peinture d’icônes, pour en comprendre l’essence.
En arrivant aux Beaux-Arts, je me suis instinctivement tournée vers la peinture, acrylique puis à l’huile. La peinture d’icône m’a énormément intéressée, c’est une pratique plastique très ritualisée, ça me rassure. Pour autant, j’avais envie de peindre mes propres sujets, ce qui pour moi relève du transcendantal.
J’ai gardé une grande partie de ce que j’ai appris là bas, notamment la préparation du bois, la gravure, la peinture à l’oeuf et le procédé picturale de montée en lumière. Je veux garder ce rituel et certains symboles avec lesquels je sens une connexion. Par exemple la gravure renvoie à l’inscription dans la chair. Il y a quelque chose d’organique, de sensuel dans la peinture à l’oeuf.
Je regarde et m’inspire aussi beaucoup de la position des corps des personnages iconographiques. Leurs gestes de lamentation ou de tendresse sont des gestes qui survivent à l’Histoire de l’Art et qui permettent entre autre de faire échapper mes personnages de leur typologie sociale.

Vos personnages sont très hiératiques et représentés tout en longueur et en finesse. Le traitement de vos personnages me rappelle un peu celui des personnages dans la sculpture liturgique du XIIe siècle. Et dans une de vos oeuvres intitulée «  Enterrement» votre personnage est représenté tel un gisant. La manière dont vous peignez vos personnages est-elle une façon de prolonger et réactualiser l’iconographie religieuse?

Je ne peux pas parler de réactualisation de l’iconographie religieuse car mes tableaux ne sont pas des icônes. Lorsque j’ai commencé à utiliser les techniques que j’ai apprises à l’Église pour peindre des sujets profanes, j’avais pour idée de détourner l’iconographie catholique et de rendre visible ceux qui ne l’étaient pas forcément. Aujourd’hui, je crois que je garde ce lien avec l’iconographie religieuse pour ce qu’elle a de puissant. La pouvoir des symboles, la tension entre la représentation d’une personne en tant que ce qu’elle contient du monde et non ce qu’elle est individuellement et les associations de couleurs.
Cry Baby
Cry Baby
Il y a souvent des éléments au sol épousant son horizontalité : des fleurs sont représentées horizontalement, des vases, parfois brisés, ou encore des personnages, y sont couchés.Que souhaitez-vous transmettre? Et pourquoi ce choix d’allonger les objets ou des motifs qui normalement sont placés verticalement?

Je peins beaucoup de scènes de tendresse, de moments de partages. Les éléments au sol et brisés rappellent les drames, les luttes qu’il y a du avoir, ce qui a conduit à ce besoin de tendresse, cette réponse de la caresse.
L’horizontalité, c’est aussi quelque chose qui me travaille. Il s’agit de réfléchir aux alternatives à un rapport vertical (d’un père, d’un Dieu, d’institutions...), et penser une recherche horizontale de liens, une recherche de fraternité et de sororité.

Il y une grande part laissée au vide dans vos compositions. Sans être dépouillées, vos peintures laissent une certaine respiration dans leur lecture, par notamment l’échelle choisie pour chacun des motifs les composant. Que souhaitez-vous susciter chez le spectateur  ?

Je n’ai pas envie de surcharger un tableau, j’aime raconter des histoires par la suggestion et non la description. Mais le vide est aussi très important du point de vue narratif. C’est un espace mental, un espace de projection des fantasmes, un espace à remplir. Il existe autant que peut exister le vide ressenti par les personnages que je peints, qui ont d’ailleurs souvent le regard dans le vide.
« C'est le lieu où les transformations peuvent advenir, où les liens entre les choses peuvent se créer. C'est le lieu où les choses refusent de se figer, où les souffles vitaux se réunissent, ce qui rend possible l'avènement d'un sens. » (Revue Vacarme, 2018, n°82, Claire Atherton, L’art du montage

D’ailleurs, dans votre travail vos personnages sont souvent placés dans des espaces avec peu de repères spatio-temporels. Ce qui les relie au monde réel semble être la  présence des astres et d’éléments comme des fleurs. Pouvez-vous nous parler de ce parti pris de représentations ?

Cela va avec le vide. Suggérer plutôt que de décrire. Je n’ai pas envie de dépeindre une fresque du présent, avec des symboles distincts et des personnes enfermées dans un milieu social. Ce que je cherche c’est quelque chose de plus intemporel, de plus intérieur.
Baby hulk, 2021, Tempéra, peinture de carrosserie et paillettes, 19 x 28 cm
Baby hulk, 2021, Tempéra, peinture de carrosserie et paillettes, 19 x 28 cm
Aux murs de vos scènes intérieures, vous représentez souvent une imagerie qui est propre à celle des intérieures domestiques: il y a des représentations de photos ou de dessins… C’est quelque chose de récurrent dans vos travaux. Ils sont de petites dimensions et discrètement présentés. Pouvez-vous nous en parler?

La représentation d’intérieurs me permet de signifier les souvenirs d’une personne. Des images, objets ou décors qui parlent d’un passé, d’un état intérieur, de fantômes.
Ces intérieurs sont souvent ceux d’adolescents. J’aime représenter les adolescents, voûtés, les visages penchés, déjà formés et paralysés par le poids de la vie. Ils rendent physiquement compte d’un « mal-être social ». Les images sont souvent des dessins d’enfants, ils signifient leur refus de grandir.
Ce sont aussi souvent des références auxquels me font écho la scène que je peints : la reproduction d’un tableau de Helen Verhoeven, une image d’un film de Bruno Dumont, une image de l’émission télévisée Strip tease...
    
Le motif de la cage à oiseaux et les oiseaux reviennent beaucoup dans vos oeuvres. Que symbolisent-ils dans votre travail ?

L’oiseau est communément un motif liberté ou d ‘enfermement. Ce n’est pas ce que j’ai en tête directement lorsque je peints un oiseau, mais j’imagine que ça joue.
Je crois que ça vient plus d’un imaginaire qui m’attendri, celui d’une personne avec un oiseau à défaut d’avoir un chien, l’homme bizarre que l’on regarde dans la rue, son perroquet sur l’épaule.

Pouvez-vous nous décrire votre processus créatif habituel?

J’ai beaucoup d’images collectées dans mon téléphone et des phrases ou histoires que j’entend et qui me touchent. C’est à partir de souvenirs, d’ambiances, d’images trouvées ou capturées que je vais dessiner. J’ai beaucoup de carnets de dessins dans lesquelles je répertorie une grande quantité de scènes que je veux peindre. Quand il y en a une qui me semble plus intéressante ou qui me semble nécessaire de représenter, je la dessine au format de mon tableau, et le « rituel » commence. Je reporte ce dessins grâce à une technique de report avec le pigment. Ensuite je grave le dessin dans le tableau (du bois entoilé et préparé avec du levkas, un enduit à base de colle de peau de lapin et de blanc de meudon), je peints les contours et les premières couches en aplats très aqueux, en commençant par la teinte la plus sombre de ce qui va être peint. Et ensuite je monte en lumière et je cherche les couleurs et les détails que j’ai envie de rajouter, je me raconte encore d’autres histoires qui viennent déplacer mon idée de départ.
Drame à la fête foraine
Drame à la fête foraine

Quelles sont vos principales influences artistiques ?

Mes influences sont une sorte de pêle-mêle entre ce que je vois dans la rue, ce que je vie et qui me touche ou me fait violence, entre l’univers du cirque et de la magie, entre les films que je regarde et les images que je vois défiler sur instagram, les mangas aussi. Tout ce qui m’a permis plus jeune de m’échapper et m’a donné envie de peindre. Aujourd’hui je m’intéresse beaucoup au théâtre et j’ai découvert notamment celui de Gisèle Vienne qui me fascine.
Mes sujets sont nourris des figures de perdants proposés par Jean-Charles Hue, Pier Paolo Pasolini ou Harmony Korine et inspirées de portraits des émissions télévisées telles que Strip tease ou Tellement vrai.
La peinture de la Pré-Renaissance italienne et en particulier Giotto sont mes premiers amours, mais je regarde beaucoup la peinture figurative américaine comme celle de Kerry James Marshall ou Henry Taylor. La peinture de Myriam Cahn, celle de Helen Verhoeven et de Elizabeth Glaessner ont été, elles, des révélations sur comment représenter une personne non pas de manière réaliste mais transformée physiquement par le drame, la violence, des souvenirs obsédants, des normes mal taillées qui les réduisent à l’état de silhouettes, marionnettes ou hommes de pierre fragiles.

Votre travail vient d'être présenté au Consulat. Avez-vous des expositions programmées à venir à nous partager ?

Je prépare en ce moment une deuxième exposition personnelle à la galerie Studiolo à Milan, elle devrait avoir lieu en Septembre. Je fais aussi parti d’une exposition collective en ce moment à la galerie Sebastien Lepeuve à Clichy et je serai en Mai à la galerie Espace à vendre à Nice pour l’exposition « La vallée des merveilles ».
Cérémonie foot, 2021, Tempéra, peinture de carrosserie, 19 x 28 cm
Cérémonie foot, 2021, Tempéra, peinture de carrosserie, 19 x 28 cm
Goutte d’or, 2021, Tempera, 28 x 34 cm
Goutte d’or, 2021, Tempera, 28 x 34 cm
Le danseur, 2020, Tempera,19 x 28 cm
Le danseur, 2020, Tempera,19 x 28 cm
Journée de noces pour un chien, Triptyque
Journée de noces pour un chien, Triptyque
Twins
Twins
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