Solène Rigou est une artiste très attentive au monde qui l’environne et plus précisément aux êtres qui l'entoure. Elle en observe leurs gestes, leurs attitudes corporelles ou regarde avec admiration les objets tenus ou portés. De ces instants vécus, remplis d’informations, l’artiste n’en prélève qu’un menu détail qui l’intéresse précisément et qui contiendra en lui-seul toute l’information. Cela passe toujours par la représentation des mains que la dessinatrice associe souvent à des éléments précieux tels que les bijoux, le verre.. Si l’artiste parvient naturellement à extraire ce qui l’intéresse d’une scène plus vaste, c’est que son œil a toujours été exercé à y voir et à y déceler un infime détail dans des compositions picturales qui l’émeuvent. 
Fascinée par ces objets et surtout par leur préciosité, Solène Rigou souhaite désormais aller plus loin que leur représentation sur une surface plane : elle souhaite leurs donner corps. Le travail du bronze vient répondre à ce désir. « Du coup de transformer ce qui est pour moi seulement un attrait, à la base esthétique, en un petit objet précieux, qui le rend solide et palpable, cela me permet de le posséder », m’explique Solène Rigou. En résulte une série d’objets précieux qui constituent une sorte de cabinet de curiosité, témoignant à la fois du regard aiguisé de l’artiste mais aussi de l’ensemble des trésors que Solène Rigou a accumulés visuellement depuis de nombreuses années, souvent extraits de peintures des maîtres de la Renaissance italienne.
Petrus Christus, 2022 Dessin à la plume sur papier 13,5x20 cm
Petrus Christus, 2022 Dessin à la plume sur papier 13,5x20 cm

" Je dessine les mains des autres car c’est un moyen de dessiner un portrait sans dessiner un visage. "

Solène Rigou

1- Peux tu te présenter? 

J’ai commencé à dessiner très jeune et mes parents m’ont toujours soutenue car ma mère dessinait beaucoup. J’ai fait un lycée d’arts appliqués, j’ai donc tout de suite intégré le milieu artistique  de manière sérieuse dès le lycée. Après cela, j’ai d’abord suivi une prépa et ensuite fait les Beaux-Arts. A la base, je ne voulais pas tenter les Beaux-Arts et je ne voulais pas les avoir. J’ai tenté les Beaux-Arts car il fallait tenter les concours. Je ne savais pas si j’avais envie de les faire mais je savais que j’étais au bon endroit car depuis le lycée j’étais dans ce monde créatif. En fait, j’ai eu les Beaux-Arts. Je me suis rendue compte que c’était la meilleure chose qui pouvait m’arriver. Au départ, je voulais les Arts déco. Je me suis rendue compte que c’était bien parce qu’on m’a laissée developper mon travail. Au début c’était pas facile car nous sommes vraiment livrés à nous même, aux Beaux-Arts, mais petit à petit j’ai réalisé que je n’avais pas envie qu’on me donne des devoirs, des projets à faire. J’avais envie qu’on me laisse tranquille à mon bureau, à réfléchir à ce que j’avais envie d’exprimer.

Les cinq ans aux Beaux-Arts ont vraiment été nécessaires dans la durée pour vraiment sentir le développement de mon travail et petit à petit savoir ce pourquoi je faisais les choses. J’ai vraiment commencé en me disant « Ah j’aimerais bien avoir envie de dessiner, mais je ne sais pas quoi dessiner » : le problème d’inspiration.
Petit à petit, d’année en année, j’ai vraiment précisé ce vers quoi mes yeux se tournaient, mon intérêt..Et puis à force de réfléchir à tout cela j’ai développé ma pratique de dessin qui aujourd’hui ne me pose plus de problème en terme d’inspirations car j’ai lancé pleins de pistes dans tous les sens et ce sont des sujets inépuisables. Comme les mains.
Tu réalise un travail de dessin sur bois très réaliste dont les cardages sont souvent resserrés sur un détail et plus particulièrement sur des mains. Est-ce que la photographie intervient dans ton travail préparatoire pour travailler ces cadrages ? Et qu’est qui t’intéresse dans le motif de la main?

Toutes les mains que je dessine sont des mains que j’ai moi même prises en photo. Je les prends avec mon téléphone. Ce sont toujours des moments que je passe avec des gens que j’aime et qui font partie de ma vie de tous les jours. J’ai toujours l’oeil aux aguets. A chaque fois ce sont des images que j’attrape à la volée. Et j’aime bien que ça soit des mains au repos car c’est vraiment au moment où les personnes ne font pas attention, que leurs mains sont alors très parlantes. Les photos que je prends, je les recadre ensuite à l’intérieur car j’aime vraiment qu’on s’intéresse à ce détail. Car c’est ce que je regarde précisément. C’est ma manière d’incarner un moment qui est constitué de pleins de choses. Le fait de ne prendre que sa main, extrait un peu le moment de mon vécu personnel et rend la chose plus anonyme. Et cela peut alors devenir quelque chose de complètement autre que mon expérience personnelle. On n’est plus face à une présence de quelqu’un qu’on ne connait pas, on est face à quelqu’un que personne ne connait: on est simplement face à la position, à la montre, au tissus…
Il y a aussi un attrait esthétique pour les mains. Déjà je travaille avec mes mains donc c’est quelque chose d’extrêmement important, qui est sacré. Je dessine les mains des autres car c’est un moyen de dessiner un portrait sans dessiner un visage car si je devais dessiner un visage cela serait très intrusif de passer 10h sur une tête. Et comme je prends des photos un peu en secret, à la volée, et qu’ensuite je les sors pour les dessiner, si je faisais ça avec des visage cela serait l’horreur absolue. Alors que la main est l’incarnation parfaite de la personne. Le geste de l’autre est le lieu de l’individualité totale.   

Et puis il y a tout ce rapport au travail, de fabrication, d’artisanat qui fait écho à ta pratique.
Bonne table, 2021, Graphite sur papier marouflé sur bois, 30x40cm
Bonne table, 2021, Graphite sur papier marouflé sur bois, 30x40cm
Annabelle, 2020, Crayon de couleurs su bois, 16,5x19,5cm
Annabelle, 2020, Crayon de couleurs su bois, 16,5x19,5cm
Quelles sont tes influences artistiques ?

Ce qui m’influence c’est surtout ce qui se passe autour de moi, c’est là où le fait dêtre dans un atelier partagé est très important. Le fait de connaitre le travail de quelqu’un et de connaitre la personne qui va avec me donne un accès à la création de cette personne qui est un peu intime.
Esthétiquement j’aime beaucoup les peintures de la Renaissance italienne et flamande car il y a beaucoup de maitrise technique. Et il y a toujours des cadres dans les cadres. Il y a toujours une idée de cadrages, de compositions et beaucoup de détails. Et cela me fascine définitivement.
Mais de manière générale c’est surtout autour de moi que ça se passe.

Sur quoi travailles-tu en ce moment ?

Ce printemps est très riche en expositions et projets. Je dirais qu'il y a trois axes dans mon travail dont un qui est plus important que les autres qui est le travail que je présente avec la Galerie C. C’est mon travail de dessin, des dessins sur bois. Toute la série sur les mains. Avant je dessinais des objets. C’est ce même travail consistant, de travail de dessin avec des dessins sur lesquels je passe beaucoup de temps. 
Et puis il y a deux lignes qui sont entrain de se détacher.
Il y a un  coté plus illustratif où j’ai écrit cette petite bd " Le cowboy et l’inspecteur". J’ai envie de developper ces personnages. J’ai envie d’en écrire une deuxième, une suite. Et j’aimerais bien que ça s’élargisse à des godies, enfin presque. Que ces personnages prennent de la place, de l’existence, qu’ils prennent vie et qu’ils soient sur tous types de surfaces. 
Il y a vraiment la partie sérieuse, où je suis en médiation à travailler, à dessiner pendant des semaines. Et à coté de cela il y a "Le cowboy et l’inspecteur" : c’est l’espace de la blague et de l’humour qui est hyper importante pour moi.
Et y a finalement cette troisième ligne que je vais présenter à l’expo de l’atelier Kumo avec cet attrait de l’objet vraiment et le bijoux en quelque sorte. C’est quelque chose de plus en volume, qui sort de la 2D du dessin. C’est un espace un peu sacré: c’est là où je matérialise un peu mes références. Dans "Le cowboy et l’inspecteur", j’ai envie de faire passer des références, qu’il y ait aussi ce monde: toutes les choses que j’observe et que je trouve fabuleuses et qu’on ne peut pas exprimer à quelqu’un. Il faudrait que ça l’intéresse. Et là (n.d.l.r à propos des objets en bronze) c’est encore une forme différente pour exprimer la fascination que j’ai pour les choses. Du coup, de transformer, ce qui est pour moi seulement un attrait, à la base esthétique, en petit objet précieux qui le rend solide et palpable, cela me permet de le posséder.
San Sebastián, 2022, Dessin à la plume sur papier 10x8,5 cm
San Sebastián, 2022, Dessin à la plume sur papier 10x8,5 cm
2021, crayon sur bois
2021, crayon sur bois
Mamie, 2020, Crayon de couleurs sur bois, 30x30 cm
Mamie, 2020, Crayon de couleurs sur bois, 30x30 cm
Pour suivre l'actualité de l'artiste rdv sur sa page instagram: https://www.instagram.com/rrrigou/
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