Un soleil éblouissant, un ciel d’un bleu profond et jamais menaçant, des scènes au bord de l’eau composent l’univers de Marguerite Piard. Dans cette atmosphère imaginaire et préservée, l’artiste y fait évoluer des figures féminines. Absorbées dans leurs occupations, imperturbables, ses personnages féminins semblent en paix et en sécurité. 

« Les femmes que je représente évoluent en effet dans des espaces préservés, surtout des regards masculins auxquels nous sommes habituées en tant que femmes dans l’espace public. » m’explique l’artiste lors de notre entretien. 

De plus, si on apparenterait ses scènes à des marines ou on associerait certaines d’entre elles au motif des baigneuses, Marguerite Piard cherche davantage à questionner ces représentations. À travers son travail, la peintre propose d’en renouveler l’iconographie plutôt que de s’y inscrire et les perpétuer. 

Une façon pour l’artiste de se questionner sur la représentation du corps féminin et plus particulièrement du nu féminin. Des questions qui préoccupent la peintre et qu'elle tente chaque jour d’y répondre à travers son art. Ainsi, au plus près de ses modèles, vous verrez que Marguerite Piard n’hésite pas à tronquer ses personnages et à se concentrer sur une partie de leurs corps. 

Marguerite Piard propose une peinture intime, juste et bienveillante. 

L'artiste Marguerite Piard 

Photo: Quentin Simon 


Peux-tu te présenter?
J’ai suivi la formation préparatoire de l’Atelier de Sèvres puis je suis entrée aux beaux-Arts de Paris dans l’atelier de François Boisrond. J'ai toujours été très attirée par la peinture figurative et par la couleur. Je ne dessinais ni ne peignais beaucoup avant mon entrée à l’école mais la nécessité de peindre s’est imposée à moi-même. C’est en regardant le travail des peintres qui m’entouraient dans l’atelier que mon choix de poursuivre l’exploration de ce médium s’est confirmé.
On évolue quotidiennement en regardant les oeuvres des autres artistes, en expérimentant de nouvelles techniques, de nouvelles matières et également en en discutant. C’est incroyable à quelle vitesse on peut évoluer en peinture. C’est tout cela qui me stimule; l’apprentissage constant, et l’évolution de la technique picturale.
J’ai été diplômée des beaux arts de paris en octobre 2020.
Je travaille dans un atelier à Ivry, à la Fabrique.

" Me placer au même niveau que mon sujet et me rapprocher autant de la peau me permet peut être de créer un rapport d’égal à égal entre le regardeur et le modèle. J’essaye de me, et de « plonger » le spectateur dans la peinture. "

Marguerite Piard
Sans titre, huile sur bois, 46 x 40 cm, 2019
Sans titre, huile sur bois, 46 x 40 cm, 2019

Ton travail pictural est très solaire, baigné de bleu et tu y représentes souvent des portraits de femmes vues en plan rapproché. L’identité de tes personnages ou l’identification de repère spatio-temporels ne sont jamais pleinement explicités. Par ces parti-pris que souhaites-tu susciter chez le spectateur ?

La plupart du temps, je débute une peinture en ayant déjà l’idée d’une composition, d’un cadrage ou d’une position de corps particulière.
Je peins à partir de photos ou de captures d'écran de vidéos dans lesquelles je mets mon corps en scène et souvent celui de ma sœur. Mais je commence à faire poser d’autres modèles.
De ces images, je ne garde la plupart du temps que les corps, l'arrière-plan, le décor disparaît et est transformé en espace inventé. Ce dernier devient un rivage, un ciel, une berge. On retrouve souvent des aplats bleus-mer qui rappellent les instants solaires propres à l'été et à ses baignades.
Bien que mes peintures soient majoritairement des autoportraits, je choisis souvent de cadrer en plan resserré sur le corps, mon visage coupé et ainsi de brouiller l’identité du modèle. Je « zoom » délibérément sur les parties de mon corps qui me questionnent en tant que femme quand celles-ci sont sans cesse sexualisées, évaluées, critiquées ou comparées.
Les seins, les hanches, les fesses, le sexe et les plis du ventre sont des parties du corps qu’on a très souvent l’habitude de dévaluer. Par ce cadrage plus intime et ces fragments de corps que je tente de peindre avec tendresse, j’invite le regardeur à faire preuve d'empathie et de respect.
Je reste cependant consciente que la réaction du regardeur n'est pas contrôlable.
Le regard masculin (je parle du regard des hommes cisgenres hétérosexuels) sur un corps nu féminin reste souvent décevant.
Par exemple, je présentais durant une exposition collective une peinture mettant en scène une femme de profil, la poitrine nue.
Lors du vernissage, et alors que la galerie était remplie de monde, j’ai assisté stupéfaite à la pose photo d’un jeune homme devant ma peinture. Il sortait le bout de sa langue, de telle sorte à ce qu’en effet d’optique sur l’écran du téléphone de son ami, celle-ci touche le téton de la femme.

C’est exactement pour cela que je prends le parti pris de les représenter seules ou ensemble entre elles, dans ces « safe spaces ».
Ainsi elle n’ont pas à subir de regards pervers et peuvent vivre un certain répit, même si cela reste de l’ordre de la fiction.


Tu as réalisé plusieurs peintures de petites dimensions sur lesquelles tu as représenté des mains en plan rapproché. Ces oeuvres acquièrent une dimension mystique. Pourrais-tu nous parler de ces représentations ?

J’ai toujours été plus a l’aise avec les petits formats.
Je suis très attirée par le détail en peinture, les petits symboles, la nécessité de s’approcher très près de la peinture pour déceler des éléments invisibles de loin.
Il y a aussi la notion d’intimité propre à mon sujet que j’explore plus facilement sur petit format.
Dernièrement j’ai pris beaucoup de plaisir à travailler sur une série de tout petits morceaux de bois (7x5,5 cm). Ces peintures manipulées au creux d’une main acquièrent un statut d’objet précieux.
Nous avons tous le besoin de toucher, de manipuler, de caresser les êtres aimés et les mains liées sont l’expression d’un désir ardent que j’aime beaucoup représenter.
Ce que je trouve intéressant, c’est que les mains se trahissent comme le
visage, et qu’elles parlent parfois mieux que ce dernier. On dit d’ailleurs qu’on parle avec les mains.
Les signes de la main et leur position évoquent facilement une symbolique très large (doigts croisés qui espèrent, mains en prière, mains qui chuchotent , etc...).
C’est le cas avec une de mes peintures récentes « peinture pour les deux
sens » (huile sur bois, 25 x 14 cm, 2021).
Je représente dans le premier sens une main dont le pouce, l’index et le majeur sont pointés vers le ciel rappelant les représentations de la main divine de Dieu (ce geste pouvant être compris comme une bénédiction mais également évoquer l’idée du jugement, du bien et du mal). 
Si on retourne la peinture dans l’autre sens, le geste est tout de suite plus évocateur. C’est une main dont les doigts pénètrent, un « doigté ». Le sexe n’est pas visible mais on peut voir un lavis rouge subtil sur le bout des doigts qui rappelle le sang, celui de la première fois plus ou moins bien vécue, ou celui des règles.
Il y a un paradoxe qui me plaît entre ces deux gestes.
D’un côté celui de la morale religieuse, qui fait du sexe et surtout de la vie sexuelle des femme un tabou, un péché hors mariage, renforçant le sentiment de honte lié à leur corps. De l’autre, un pied-de-nez à ces conventions religieuses et à ses injonctions que je ne cautionne pas. (Je parle évidemment de mon propre ressenti et de mon vécu vis-à-vis de l’éducation religieuse que j’ai reçue étant plus jeune.)
Deuxième fois, huile sur toile, 33 x 24 cm, 2021
Deuxième fois, huile sur toile, 33 x 24 cm, 2021
 Les Moules, huile sur bois, 25 x19 cm, 2020
Les Moules, huile sur bois, 25 x19 cm, 2020
Les femmes que tu représentes sont souvent nues, jouent de la flute, se baignent.. elles semblent évoluer dans un monde préservé et hors du temps. Certaines de ces scènes me rappellent des scènes de l’antiquité. Peux-tu nous dire quelques mots sur ton iconographie?

Les femmes que je représente évoluent en effet dans des espaces préservés, surtout des regards masculins auxquels nous sommes habituées en tant que femmes dans l’espace public.

Je les représente dans des positions où elles sont concentrées sur leurs actions, même si elles peuvent paraître futiles ou non productives. Elle se reposent, elles s’ennuient. Rien ne vient les troubler. Elles ont les jambes écartées, le dos courbé, cherchant des cailloux, ou encore scrutant leur culotte tachée du sang des premières règles ( peinture « Le rouge originel », huile sur toile, 130 x 97 cm, 2020).
Elles n’empruntent pas non plus les positions stéréotypées des femmes véhiculées par la publicité ou le cinéma . Et c’est parce qu’elles ne craignent aucun regard sur leur corps qu’elles se le permettent.
Finalement, il n’y a nul besoin de séduire car elles ne sont pas dans la représentation d’elles-mêmes.
Je n’avais jamais réfléchi au rapport entre l’antiquité et mes peintures, mais je m’inspire très souvent de sculptures ou de bas reliefs, et je suis très attirée par les fresques et les mosaïques de l’antiquité en général. J’ai réalisé des peintures sur du bois taillé qui peuvent évoquer ces bas reliefs. J’ai pris beaucoup de photos d’oeuvres antiques qui doivent venir habiter ma peinture d’une manière ou d’une autre.

Une partie de ton travail me rappelle aussi la thématique des Baigneuses. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce sujet et que souhaites-tu y transmettre dans ton travail pictural ?

Forcément je suis très attirée par les peintures de nus féminins en général, et encore plus lorsque l’eau fait partie intégrante de la composition d’une toile. Je suis émerveillée par le sentiment de plénitude et le laisser aller que l’on ressent lorsque l’eau nous porte.
Mais trop profonde, on n’y voit rien. Ce sont les méduses, les serpents, les pics des oursins, les pinces des crabes ce sont les dangers et les venins. C’est un sentiment paradoxal que j’éprouve lorsque je me baigne, et c’est pour cela que je représentais beaucoup ces animaux aquatiques dans mes anciennes peintures, comme des petites métaphores picturales qui évoquaient l'idée de menace. Dernièrement, les femmes de mes peintures sont moins inquiètes, elles ne sont plus dans la peur d'un danger arrivant.
Mais pour revenir plus précisément au thème des baigneuses, je suis souvent dérangée par la manière dont leurs corps sont mis en scène dans l’espace de la toile. Les peintures présentées dans les musées traitant ce sujet ont pour la plupart été peintes par des hommes pour le regard masculin (corps nus sexualisés, scopophilie, ...). C’est aussi le cas pour les peintures de femmes à leur toilette.
Dans la grande majorité, j’ai l’impression qu’il y a une intrusion dans l’intimité de la femme, que ce n’est pas consenti et qu’en tant que spectateur, on est placé contre notre gré dans une position de voyeur.
Les cadrages sont de loin, on les regarde par l’enchevêtrement d’une porte, ...
Me placer au même niveau que mon sujet et me rapprocher autant de la peau me permet peut être de créer un rapport d’égal à égal entre le regardeur et le modèle. J’essaye de me, et de « plonger » le spectateur dans la peinture.
J’interroge tous les jours ma manière de représenter le corps. Comment représenter un nu féminin sans l’objectiver, sans le sexualiser? Je pense que mon genre ne me permet pas pour autant d’échapper au « male gaze » et ces questions de représentations sont très intéressantes et importantes.
 Lights, huile sur bois, 33,5x24 cm
Lights, huile sur bois, 33,5x24 cm
Si beaucoup de tes représentations mettent en scène une femme seule, parfois tu réalises des doubles portraits particulièrement sensibles dont les corps ne font presque plus qu'un. Peux-tu nous parler de ces représentations?

En effet, les dernières peintures mettent de plus en plus en scène des duos de femmes, dans des positions d’étreintes, les mains liées. Ce sont des scènes très tendres. Je m’intéresse beaucoup à la notion de sororité.
Je rejette l’idée selon laquelle il puisse exister un sentiment de rivalité entre les femmes qui serait inné. Tout cela est dû selon moi à des constructions sociales qui nous divisent au lieu de nous unir.
Il faut déconstruire cette idée là et chercher à s’allier. La peinture m’aide beaucoup à me déconstruire.
Par ces représentations, je cherche à éveiller un désir de bienveillance et de douceur.
Et inspirer l’envie de prendre soin de l’autre et de faire confiance.
Je suis aussi attristée qu’il y ait si peu de représentations de couples lesbiens dans les musées ou alors qu’elles aient été peint par des hommes, de manière fantasmée. Ces institutions ne nous proposent que des récits hétéronormatifs. Je suis très émue par les peintures de Jenna Gribbon, Xinyi Cheng, Apolonia Sokol, Louis Fratino, Simon Martin, Ambera Wellmann, la photographe Carlotta Guerrero, par exemple.
Iels nous proposent un nouvel esthétique de la relation qui m’attire énormément tant pour les sujets qu’iels glorifient par la peinture que pour la force de leur traité pictural.
Je laisse la lecture libre de mes tableaux.
On peut y voir des relations d’amies, de soeurs ou d’amoureuses.

Tu peins sur bois, sur des formats et dimension très variés, et aussi sur galets. Cela donne à ton travail encore plus une dimension d’objets et prolonge également l’iconographie très ancrée avec la nature. Qu’est ce-qui détermine ton choix de dimensions et de supports ? Et qu’apportent chacun d’entre eux dans ton travail?

J’ai toujours eu pour habitude de récupérer, de chiner des petits objets, je les collecte .
Je peins en effet sur toile et sur bois, ce dernier étant un support que j’affectionne particulièrement, parfois taillé ou enduit de plâtre.
Mais j’ai aussi réalisé des œuvres en céramique, en papier mâché, et des peintures sur galets, sur des cailloux.
Je cherche continuellement à explorer de nouveaux support, mais c’est souvent le hasard d’une trouvaille qui motive ces choix-là.
Depuis ma petite enfance je ramasse des pierres, des cailloux, des coquillages le long des plages normandes où ma mère vit désormais, à Jullouville. Je les utilise comme support et je viens aussi les intégrer des des peintures.
Lors de mon dernier séjour là-bas, j'ai voulu travailler avec des os de seiche. Leur forme de vulve ou d’oeil m’intéressait d’un point de vue symbolique. J’ai réalisé pour l’exposition le Bonheur-du-Jour, chapitre II (galerie Double Séjour, à Poush Manifesto, commissariat de Thomas Havet et Joris Thomas ) une toute petite peinture à l’huile sur un os de seiche représentant un zoom sur les corps de deux femmes sur le sable. Le tout petit format de l’os répondait bien à l’idée du secret, du petit objet qu’on peut glisser dans sa poche tel un mot doux. Facile à dissimuler, il peut aussi être conservé à l’abri des regards, dans un tiroir fermé à clef, à l’image des tiroirs du meuble genré « Le bonheur-du-jour ».
J’ai un attachement particulier à ces éléments minéraux. Les positions représentées dans mes peintures sont aussi celles qui témoignent des instants heureux, accroupie, les pieds dans l’eau, dans la vase, des heures durant à gratter dans le sable à la recherche de trésors, à creuser des bassins ou à construire des châteaux. Ce sont des moments où l’ont est dédié à ces actions qui n’ont pas de but précis, pendant lesquels on ne pense plus à rien d’autre, encore moins à l’apparence qu’on renvoie.

J’ai évoqué ci-dessous de possibles références à l’antiquité et à la thématique des baigneuses dans ton travail mais as-tu d’autres influences créatrices à évoquer?

Je suis influencée par énormément de choses autour de moi, que ce soient des photos que je trouve sur Instagram, dans des livres de peintures, un geste ou une position d’une amie, une phrase d’un livre (la lecture des Guérillères de Monique Wittig m’a beaucoup émue récemment), les œuvres en galerie et dans les musées qui me donnent envie de retourner peindre en urgence.
Si je devais citer quelques artistes que je regarde beaucoup en ce moment:

Edouard Vuillard
Christine Safa
Nathanaëlle Herbelin
Joan Semmel
Artemisia Gentileschi
Jockum Nordström
Jérôme Bosch
Fra Angelico
Alex Foxton
Simon Martin
Lou Ros
Nicolas Gaume

Je suis aussi très intéressée par les cabinets de curiosités ainsi que les peintures et les icônes religieuses en général.
Les amoureuses, huile sur bois, 35 x 29 cm, 2020
Les amoureuses, huile sur bois, 35 x 29 cm, 2020
 Le rouge originel, huile sur toile, 130 x 97 cm, 2020
Le rouge originel, huile sur toile, 130 x 97 cm, 2020
Sans titre, huile sur bois, 20 x 15 cm, 2019
Sans titre, huile sur bois, 20 x 15 cm, 2019
 Sans titre, crayon de couleur sur papier, 29,7 x 21 cm, 2019
Sans titre, crayon de couleur sur papier, 29,7 x 21 cm, 2019
 Dormeuse sur carreaux de piscine, huile sur galet, 28 x 16 x 9 cm (environ), 2020
Dormeuse sur carreaux de piscine, huile sur galet, 28 x 16 x 9 cm (environ), 2020
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